Jean-Louis Marçot, Comment est née l’Algérie française : L’utopie rapace !

Disons-le d’emblée : un chef-d’œuvre. Un livre comme il ne nous est hélas pas souvent donné d’en lire, non d’en savourer.

 

Le contenu de ce « pavé » est plus riche que l’auteur lui-même ne le soupçonne peut-être. En effet, cette histoire analytique du sentiment national qui prétendit, au XIXe siècle, phagocyter une terre étrangère, c’est-à-dire la priver de son identité, peut servir de référence à maintes études historiques et culturelles. Il s’impose avec force dans tout examen de la politique générale de l’Occident à l’égard de l’Orient depuis un siècle. C’est dire le talent de l’auteur.

 

Il n’importe que la quasi-totalité du discours actuel sur l’aventure algérienne qui s’acheva à Évian soit aujourd’hui faussé, et que les tirades obligées sur les vertus ou les vices du colonialisme soient creuses. Les faits demeurent, Jean-Louis Marçot s’est donné la peine de les chercher et les a trouvés. Tel est son mérite, outre la pureté du style.

 

Le début de l’affaire a beaucoup amusé les écoliers d’antan : le 29 avril 1827, le dey d’Alger donna au consul de France le coup d’éventail le plus célèbre de l’histoire. Trois ans plus tard, une intervention militaire mettait le pays et sa ville sous la botte française (elle faillit être rebaptisée, c’est le mot, Carlopolis). Le dey est passé à la postérité pour un arrogant : on a oublié de dire que le consul était un loufiat en costume et que la France était en délicatesse avec l’Algérie : elle lui devait des années de livraison de blé et ne les réglait toujours pas.

 

Alors des idéologies disparates, voire antagonistes, se coagulèrent en une conviction profonde, inébranlable et envahissante : il fallait occuper l’Algérie. Au nom de la sécurité maritime, du socialisme comme de l’industrie, de la chrétienté, du progrès, que sais-je, le tout pimenté du racisme « naturel » qui subsista jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le primat de Lorraine déclara en 1830 que « la Croix, marchant à la suite du drapeau sans tache », rendrait à Dieu « ces peuples dégradés et stupides, abrutis par le despotisme et le vice ». Coloniser n’était pas un choix, c’était un devoir. « Malheur à la France » si elle ne colonise pas, clamait Constantin Pecqueur.

Seul peut-être Charles Fourier émit quelques réserves sur la formidable entreprise de prédation à laquelle se livrait la France ; propos inspirés : il jugea que l’effort était démesuré « pour de frêles colonies qui finiront par être égorgées ». Mais pour faire bref, il était quand même « pour ».

 

Abd el Kader tenta de résister ; il fut vaincu. Il n’en eut que plus d’héritiers spirituels, qu’on veuille bien y songer. L’histoire est aussi dans la mémoire, surtout celle des vaincus.

 

En 1844, le journal L’Afrique adoptait cette devise : « L’Algérie, c’est la France ».

Ainsi naquit l’Algérie française administrative, avant de devenir un état d’âme, comme on sait, presque en un mot, Algérifrançaise. L’utopie rapace engendra des tragédies, des drames aussi.

 

Il s’en faudrait que Marçot, ancien pied-noir, se dérobe sous le paravent des documents ; il écrit ainsi, vers la fin de son livre : « Qui est aujourd’hui assez naïf pour croire philanthropiques les intentions du président Bush lorsqu’il ordonne les opérations contre l’Irak ? »

 

Ce n’est pas seulement le procès du colonialisme qu’il a magistralement dressé, c’est aussi celui d’une utopie, d’une culture. Son livre est en marbre, il ira loin.

 

Gerald Messadié

 

Jean-Louis Marçot, Comment est née l’Algérie française (1830-1850), La belle utopie, La Différence, octobre 2012, 951 pages, 38 €

2 commentaires

Certains histoiriens soutiennent que la conquête de l'Algérie faut une "compensation" offerte au patriotisme français par les derniers rois (charles X et Louis-Philippe) suite à l'abandon de la rive gauche du Rhin et de la Belgique en 1815 (les fameuses frontières naturelles)...

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