Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Elle rédige une rubrique mensuelle pour le journal Service Littéraire et dirige la Sélection en ligne du Salon littéraire. Elle vient de publier son onzième roman, Rien que la mer, aux éditions La Grande Ourse.

5 romans indispensables de la rentrée janvier 2013

Anne-Marie Garat, Programme sensible

 

Première phrase > Soudain, nous nous sommes tous mis à nous quitter les uns les autres, de proche en proche à nous détacher, à nous séparer. Cathy et moi nous nous croyions l’exception, les seuls à se dénigrer, à se chercher noise et à s’écharper entre quatre yeux mais chez nos amis, chez nos relations, c’était la même épidémie de rupture.

 

Dernière phrase > La nuit tombe, l’eau du ciel aussi. Qu’est ce qu’il flotte ! J’ai mis « The Photographer » en sourdine, pour me mettre en selle. Pour m’élancer d’un bond par la fenêtre optique, et galoper en sampling ri accéléré jusqu’à mes mines d’argent, fusiller mon image à bout portant.

 

Quatrième de couverture > Dans un deux-pièces de la banlieue parisienne ignoré du GPS et de Google Earth, Jason, devenu traducteur professionnel après avoir vécu plusieurs vies, entretient un secret et obsédant dialogue avec son ordinateur dont l'écran liquide semble receler de vivantes images de son passé refoulé dans une forêt nordique d'Estonie, vingt ans avant la chute du mur de Berlin. Et sur fond de divorce, de paternité difficile, de drame des sans-papiers, de rafle des camps "roms", de réchauffement climatique et de tragédie de Fukushima, il affronte cette rémanence qui revêt les couleurs d'un conte originel, dont les ogres désormais numérisés, percutant inlassablement son inconscient et sa mémoire archaïques, l'obligent à se réinventer dans la vraie vie.

Puisant à diverses sources formelles, nourri de différents "mythes", Programme sensible est sans doute, en France, l'une des premières fictions qui invitent délibérément notre rapport contemporain aux nouvelles technologies à se matérialiser dans la dramaturgie comme dans l'imaginaire du genre romanesque.

 

Auteur d'une œuvre littéraire de tout premier plan, Anne-Marie Garat, lauréate du prix Femina pour son roman Aden (Seuil) en 1992, a été très remarquée, ces dernières années, pour sa grande trilogie romanesque séculaire inaugurée avec le célèbre roman Dans la main du diable (Actes Sud, 2006), suivi de L'Enfant des ténèbres (Actes Sud, 2008) et de Pense à demain (Actes Sud, 2010).

Photo : John Foley/Opale/Actes Sud

 

Anne-Marie Garat, Programme sensible, Actes Sud, février 2013, 224 pages, 19,50 €



Alma Brami, Lolo

 

Première phrase > J’avais pas envie de revenir sans lui.

Parce que je sens que vous cherchez des choses que je peux pas vous donner. Des larmes par exemple, des secrets.

J’ai pas besoin de parler, je veux juste cet accord pour pouvoir me faire opérer.C’est mon corps, ça m’appartient, je vois pas le rapport avec ce que je pourrais vous dire ou non en quarante minutes.

 

Dernière phrase > Alain, il sera enfin moi, et moi je serai enfin libre.

Angèle Blondeau Brunet est retrouvée morte le 2 mars2000 dans son lit.

 

Quatrième de couverture > Avant de subir une énième augmentation mammaire, Lolo est contrainte par le chirurgien de se rendre chez un psy pour qu’il autorise ou non cette intervention. Au cours de trente-trois séances fictives, Alma Brami se glisse dans ce personnage extrêmement complexe et mystérieux. Petite fille apeurée ? Épouse amoureuse ? Sacrifée ? Jeune femme prête à tout pour être célèbre ? Entre désespoir, humour, lucidité, colère et rêves, Lolo avance telle une funambule aveugle, pas à pas vers la mort.

Il fallait un grand talent littéraire à la romancière pour explorer et révéler l’âme de Lolo, qui était de son vivant, réduite à un corps.

 

Alma Brami, 28 ans, est l’auteur, au Mercure de France, de Sans elle (2008), Ils l’ont laissée là (2009) et Tant que tu es heureuse (2010) salués par la critique et traduits en chinois. Elle a également publié un album pour la jeunesse Moi, j’aime pas comme je suis (Albin Michel, 2011). Son dernier roman, C’est pour ton bien, est paru en 2012 (Mercure de France).

Photo : © SB

 

Alma Brami, Lolo, Plon, janvier 2013, 166 pages, 16,50 €



Alice Massat, Les quatre éborgnés

 

Première phrase > Lune quitte les locaux du journal. Elle retourne à la gare, rejoint le secteur des consignes automatiques,  récupère le sac, son argent. Elle regarde autour d’elle, derrière elle, et l’heure. Elle serre le cadran de sa montre entre ses doigts. Elle le surveille comme si la trotteuse risquait de s’immobiliser soudain et de stopper le temps, la navette pour Roissy, la planète, ou son cœur.

 

Dernière phrase > Lune met le pied dedans.La verrière fêlée par dessus la tête, elle marche avec une nonchalance feinte vers le cagibi. Elle récupère son sac, son imperméable. Maintenant, elle va s’en aller pour l’aéroport, passer plusieurs frontières, vers les océans. Un nouveau rêve, une nouvelle idée la poursuit : étudier l’art du camouflage chez les pieuvres au bord du Pacifique. Les observer, les étudier, collectionner… Ensuite, on verra bien.

 

Quatrième de couverture > Le titre emprunte pour ce roman d'aventures le chiffre 4, le nombre des mousquetaires. Mais à la différence des héros d'Alexandre Dumas, ceux que met en scène Alice Massat n'en sortiront pas tout à fait indemnes... Éborgnés, donc, de manière énigmatique, avec parfois quelques indices, comme une étrange signature : des mouches.

Nous sommes au XXIe siècle, une jeune fille arrive à Paris afin d'intégrer l'équipe d'un journal. Elle est belle et mystérieuse, elle s'appelle Lune. Le malheur semble rôder autour d'elle et de ceux qui l'approchent : en seront victimes un architecte, un diététicien renommé, un auteur, un universitaire spécialiste de l'image, tous les quatre condamnés aux ténèbres. Ces atteintes aux yeux dénoncent-elles l'aveuglement et l'imposture des mutilés ?

Après ces événements, Lune fuit le pays pour une autre contrée, où on l'imaginera poursuivre son œuvre de justicière contre ceux qui jouent de faux-semblants et incarnent de fausses valeurs.

Voici un livre de pur divertissement, une sorte de conte cruel qui, comme le genre le veut, contient une vraie réflexion sur notre société.

 

Alice Massat est psychanalyste et romancière. Ses précédents romans (Le ministère de l'intérieur, Les forces de l'ordre, Le code civil, Premier rôle) ont paru aux Éditions Denoël et abordent, comme Les quatre éborgnés, les thèmes de la posture, de l'imposture et des lois implicites.

Photo : © DR

 

Alice Massat, Les quatre éborgnés, Joëlle Losfeld, janvier 2013, 160 pages, 16,90 €



Mary Gaitskill, La faille

 

Première phrase > Il était allongé dans son fauteuil de relaxation, à peine assez lucide pour sentir le rêve affleurer à sa conscience. C’était l’un de ces rêves beaux et purs où il retrouvait la jeunesse et la certitude que ses amis, les défunts, les disparus, ceux qui avaient décidé de couper les ponts, étaient en réalité restés à ses côtés depuis le début et n’avaient cessé de l’aimer.

 

Dernière phrase > Elle tourna ensuite le coin de la rue et mit le cap sur Granville Street d’une démarche alerte, ses sandales en plastique achetées dans une solderie frappant ses talons sales à chaque pas.

 

Quatrième de couverture > Un homme et une femme se rencontrent dans un avion. La conversation tourne à la confidence, voire à l’aveu. Un père découvre qu’il ne comprendra jamais sa fille, tout comme son propre père était resté pour lui une énigme. Un soldat à peine revenu d’Irak cherche obstinément son chien : la nuit, il traverse les champs l’arme au poing, se protégeant ainsi d’ennemis imaginaires.

D’une écriture précise, Mary Gaitskill met à nu le malaise latent dans chaque situation, la tension sexuelle, la domination sociale qui affleurent sous le vernis de l’apparence. « Pensée et émotion, chair et flux électrique » se mêlent dans ce recueil incisif de neuf nouvelles. Proche de Joyce Carol Oates ou de Joan Didion, son style sophistiqué révèle des personnages en équilibre instable, qui tentent de négocier avec leurs failles.

 

Née en 1954, Mary Gaitskill est considérée par plusieurs générations d’auteurs américains, de Richard Ford à Gary Shteyngart, comme une icône littéraire et une nouvelliste de génie. Elle a également publié deux romans, dont Veronica, paru aux Éditions de l’Olivier en 2008.

Photo : © DR

 

Mary Gaitskill, La faille, traduction Madeleine Nasalik, Éditions de l’Olivier, février 2013, 266 pages, 21 €



Jeremy Chambers, Le Grand Ordinaire

 

Première phrase > Lundi, on va chez Butlers, pareil que la semaine dernière.

On va toujours chez Butlers, pas vrai ? demande Roy.

Nous traversons la ville, puis prenons la grand- route vers le soleil matinal. Nous dépassons les caves Beaumonts, Tylers et Crews, St Margaret, et les cerisiers de Pulham. Le pick-up de Wallace est garé au bout des rangées. Roy s’arrête à côté, consulte sa montre.

 

Dernière phrase > Et voici ce que je désire savoir : est-ce que je me trompais ? Est-ce que je me trompais du tout au tout ? Me suis-je trompé depuis le début ?

 

Quatrième de couverture > Une bourgade perdue de la région de Victoria, au sud-est de l'Australie, cernée de vignobles où triment, jour après quelques saisonniers brisés par une vie sans horizon. Le soir venu, ces hommes rugueux pleins de désespoir et de violence rentrée, se saoulent jusqu'à l'oubli. Smithy fut l'un d'eux, jadis. Ancien tondeur de moutons et buveur invétéré, aujourd'hui contraint par son médecin à l'abstinence, il observe ses compagnons de labeur se détruire à petit feu, avec une apparente indifférence. Mais dans le secret de la nuit, ce vieil homme de peu de mots est visité par les démons du regret, hanté par les réminiscences d'un amour perdu. Lorsque la jeune et ingénue Charlotte, apeurée par l'imminente sortie de prison de son mari, vient trouver refuge chez lui, il entrevoit soudain, au fil des confessions que s'échangent timidement ces deux êtres si dissemblables, la possibilité d'une rédemption.

Jeremy Chambers, révélation de la nouvelle scène littéraire australienne, signe avec Le Grand Ordinaire, un premier roman somptueux, porté par une écriture brute et incandescente, au confluent des fleuves Beckett et Faulkner.

 

Jeremy Chambers est né en 1974 à Melbourne, où il réside toujours aujourd'hui. Après des études de lettres et de philosophie, il vit de plusieurs petits métiers : déménageur, livreur de journaux, vendeur de quincaillerie, boxeur amateur, ou encore saisonnier dans les vignobles de Victoria. En 1997, il est frappé par une maladie qui le rend incapable de supporter la lumière du jour et va l'obliger à garder la chambre pendant près de cinq ans. C'est de ces ténèbres immobiles que lui viennent, peu à peu, les souvenirs, les images et les mots qui composeront Le Grand Ordinaire, son premier roman.

Photo : © DR

 

Jeremy Chambers, Le Grand ordinaire, traduit de l’anglais (Australie) par Brice Matthieussent, Grasset, février 2013, 312 pages, 20 €

 

Livres sélectionnés par Annick Geille

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