Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Elle rédige une rubrique mensuelle pour le journal Service Littéraire et dirige la Sélection en ligne du Salon littéraire. Elle vient de publier son onzième roman, Rien que la mer, aux éditions La Grande Ourse.

Cotes et coteries : L’écran chic

Ce qui a été dit de plus intelligent sur l’Ukraine a été formulé le jeudi 8 mai dernier par Jacques Attali, invité d’Olivier Galzi sur I Télé, vers 22 h 43. Du fait de sa formule, BFM-TV, chaîne d’information en continu, semble par définition, surtout le soir (il y a peu de reproches à lui faire dans le ressassement obligé des faits durant la journée), plus « plate », moins « pointue » que son concurrent, I-Tele. BFM ayant été choisie par François Hollande pour l’acte I de sa reconquête d’une popularité enfuie, la « première chaîne d’info de France » semble devenue ce qu’était en son temps TF1 : très « politiquement correcte ». Une tuile pour ses rédacteurs en chef. Nous avions remarqué les haussements de sourcils et autres mines agacées de ses présentatrices, vers 21 h, en semaine, dès qu’il était question de Sarkozy, de Coppé, de Jupé, de Fillon, de l’UMP ; à présent, nous savons que nous n’avions pas rêvé, et que les journalistes de BFM-TV ont parfois du mal, du moins en début de soirée, à cacher leur faible pour les « directs » de gauche, malgré les « directs de droite » bien assénés. Éric Brunet et Laurent Neumann, également pugnaces et brillants, fins polémistes venus de la presse écrite, ont beau dire et beau faire, on sent que le soir, sur BFM, jusqu’à 22 h 30, en tous cas, on a le cœur sur la main… gauche. La présentatrice Nathalie Levy, chaque soir, force l’admiration par son incroyable vitesse d’élocution.Elle va plus vite que Sagan, sans jamais bafouiller, prouvant que, même à cent à l’heure, ses mots font sens. Au tarif de la minute de publicité, on comprend qu’elle parle d’or, compressant l’info comme le faisait le sculpteur César avec l’acier. À 22 h 30, grâce au petit dernier de la bande BFM, Jean-Baptiste Boursier, qui, avec son air de ne pas y toucher, devrait aller loin, la chaîne desserre sa cravate. Elle devient soudain plus libre, plus détachée.

 

Ce vent de liberté, cette impertinence pourraient un jour faire de l’ombre au meilleur journaliste français de télévision (journaliste et non « présentateur », nuance importante) : Olivier Galzi. Président du Press-Club, celui qui claqua la porte de France 2 est en train de devenir un « must » médiatique chez ceux qui hier encore, dénigraient le simplisme réducteur de la télévision. Insolent, facétieux, rebelle, bien de son temps, le nôtre, Galzi est un vrai journaliste, tel qu’on l’imagine, avec des questions qui fâchent, des silences qui en disent long, et ce beau sourire de requin sachant qu’il ne sera jamais capturé. On sent chez lui cette douce ironie, cet esprit frondeur, ce côté «  je vous ai invité, mais ce n’est pas une raison pour que j’avale vos salades ». Le tout avec une exquise courtoisie, et, a fortiori, sans aménité.Nous nous sentons soudain reconnus, entendus, et tout ragaillardis.Il n’y a plus les bons et les méchants. Il y a la complexité des objets du monde, la subtilité des opinions et des réactions. Grâce à Olivier Galzi, I-Télé devient non seulement très regardable, voire plus si affinités, mais assez snob, un écran chic, la chaîne qui monte en somme, car le snobisme entraîne toujours les foules, tous les experts vous le diront. Dès qu’il se passe quelque chose d’important, on se précipite chaque soir, on veut savoir comment Galzi réagit. Il a créé la chaîne d’info en continu de tous ceux qui, en France, le soir, ont l’esprit mal tourné, le ricanement facile, et ils sont nombreux... Des lecteurs de livres et de journaux – papier ou en ligne –, tous ceux qui détestent les parcs d’attractions et « Candy Crunch », des écrivains, des politiques, des enseignants, des entrepreneurs et dirigeants de tous poils, faiseurs d’opinion que la pub a baptisés « les CES +++ » ; toutes personnes fort sceptiques, hommes et femmes de France qui ont l’esprit critique, et se servent de leur main droite et /ou de leur main gauche, sans cahier du maître, et en fonction des seuls événements, comme le recommandait Bernard Frank, pour lequel c’était le signe d’une intelligence véritable. Penser par soi même, hors de la pensée d’autrui, quel plaisir bien Français. Foin des discours dictés par l’idéologie, réservés aux esprits courts, obtus, endoctrinés, Galzi  incarne la « touche française », une sorte de justicier paisible et doux, le « Tintin » de l’info en continu ». Les Français adorent les pompiers et détestent les journalistes pour des raisons que Galzi a comprises. Passé par Sciences Po et l’Ena, il a beaucoup lu, ce qui nous change des illettrés sévissant sur le web et les écrans.

 

À l’initiative du maître de maison, patient, matois, et qui a plus d’un tour dans son sac, chaque soir donc, I Télé se propose de « décrypter » les événements de la journée. Et de même qu’il garde ses opinions pour lui, Galzi pose toujours la question qui fâche, d’un air ingénu. Gare à la faille qui vous tuera politiquement, économiquement, socialement, en direct live. Lorsqu’il nous abandonne pour prendre quelque repos, il revient quelques jours plus tard, plus pâle encore qu’il ne l’était avant de s’absenter. Où donc Galzi prend-il ses vacances, lui qui ne bronze jamais ? Cette pâleur est moderne elle aussi, donc intéressante. On n’en pouvait plus des bronzés. Chaque fin de semaine, on est tous un peu orphelins, même si Antoine Genton a succédé à des flopées de moussaillons incapables.  Un vrai journaliste, pugnace, lui aussi, un pro, qui tient admirablement sa boutique et Dieu sait ce n’est pas facile en l’absence de Galzi de faire du Galzi jusqu’à minuit, trois soirs de suite malgré l’appui de la vaillante Caroline Delage, qui, avec ou sans Galzi, veille au grain. On l’écoute avec estime, amitié, on veut qu’il reste, qu’il gagne, il nous plait, il est l’ami sûr, le confrère qui ne nous fera jamais d’entourloupes. C’est bien simple, il n’y a pas mieux qu’Antoine Genton en l’absence de Galzi. Fin et généreux comme tout, Antoine Genton construit son succès sur son intelligence des situations. Il sait que Galzi est irremplaçable. La preuve, notre président ne l’a pas choisi pour sa fameuse interview, accordée au concurrent BFM. François Hollande n’est pas fou. Les talents reconnus de Bourdin ne sont pas en cause, mais le Président a préféré l’affronter lui, le matin, plutôt que de choisir Galzi, le soir. François Hollande apprécie à leur juste valeur les chaînes d’info en continu, qui sont en train de révolutionner le concept même de télévision, mais aussi la chose politique. IL savait que Galzi risquait de le saquer, sourire doucereux aux lèvres, en lui posant à mi-voix la question dangereuse. C’est plus fort que lui, Galzi aime les gens qui font l’info, de gauche, de droite, du centre et des extrêmes pourquoi pas, de la base au sommet. Mais dès qu’il entend la réponse, il songe à la question qui va déranger, celle que nous autres, les nouveaux téléspectateurs, exigeants comme tout, aurions voulu, à cet instant-là, poser. Talent !

 

Annick Geille

1 commentaire

eh bien!!!  C'est plus un coup de chapeau, c'est tout le stock du chapelier qui y est passé, et la boutique avec! Même le remplaçant des vacances a droit aux félicitations, c'est du jamais vu!!!! .^^)
Ce gros coup de coeur fort sympathique  donne envie d'aller voir ce bonhomme pour se faire une idée soi-même. J'espère qu'il n'est pas cynique et vecteur du "tous pourris", comme le sont désormais la grande majorité des chroniqueurs des émissions de talk-show télé.
Par contre, sur la partialité politique des journalistes et le politiquement correct, les quelques mimiques dégoûtées en parlant de Sarkozy ne sont que des postures assez convenues, et quasi indispensables pour être respecté dans le monde du show-biz et des media.
De toutes façons, en la matière I-télé ne pourra jamais faire plus fort que les chaines et radios publiques, ouvertement militantes, alors que la deontologie la plus élémentaire  et la notion même de service public leur commanderait pourtant la plus scrupuleuse neutralité.