Ivar Ch' Vavar : corps à l'âme

L'ensemble de ce livre magique se développe en 27 chants à partir d'une ouverture : On est sorti dans la nuit, emmitouflés ; oui, nous sortons.  
C'est donc un esprit collectif qui porte l'élan narratif d'une odyssée salement vécue dont le poète ressasse l'histoire avec la nuit au bras en guise de mariée. Les mots qui remontent le trouble de l'enfance rameutent diverses silhouettes désirantes. Pour preuve : 
Même les grosses femmes sentaient sur elles le / grésil du désir sans savoir ce que c’était, ou bien / leur poumon était allumé, éclairé du dedans comme par un brandon, /avec crépitement gras.

Pour autant Ch'Vavar ne prétend pas décrypter l'univers, il explore les crevasses et les plis d'un monde charnel. Et l'auteur d'inspecter aussi bien les gros cils, les glandes lacrymales comme le cornet de l’aisselle"ou l’espace entre deux orteils. Existe donc toute une histoire des corps et de la matière.
Et qu'importe l'heure ou la saison. Le désir est en sarabande. Elle est formée par ceux qui – courant – arrachent de leurs pieds des boules de terre dans le noir.

Le sujet reste assez improbable : il se dissout entre divers personnes (je, on, nous, ils, ceux, etc.) dans cette avancée à l'aveuglette. Elle n'empêche pas de se retrouver prisonnier de buissons qui telle une herse blesse les visiteurs nocturnes. Leur vacation, leur flot humain sont juste retenus par la scansion des vers. Celle-ci crée un nécessaire suspens du sinistre d'une horde sauvage. Elle trouve encore de quoi vaquer et divaguer lorsqu'un je est, pour sa part, englué dans la glaire de lumière où les tableaux eux-mêmes se mettent à bouger.

Hölderlin devient le témoin de ce chant du départ où il s'agit autant de saisir la chair que de créer un appel sauvage d'un grand air plus ou moins lustral qui ferait échapper l'être à son néant.  Nous assistons toutefois à la débâcle de ceux et celles qui vont à la recherche de châteaux en Espagne en espérant qu'ils soient garnis de nourritures terrestres. Mais, en cas d'échec (programmé ?) il sera temps tout de même, si le cap est trop au pire, de recouvrer la maison primitive.
D'autant qu'en elle reste un fidèle gardien. A savoir le poète lui-même. Il est au mirador et contemple les erreurs grossières de ceux qui s'époumonent et se perdent en s'agrippant aux pendants de matière armés du mouvement intérieur de leurs désirs et des blessures que cela entraîne. Les deux, nul poème ne peut les épuiser et Hölderlin le rappelle. Il sait que le temps du poème ne peut pas être un hiver, une trêve, une nuit ni celui d'une brûlure à perpétuité.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Ivar Ch' Vavar, Hölderlin au mirador, Éditions le corridor bleu, septembre 2020, 14 €

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