Jan Palach : entre mythe & réalité

Cet étudiant qui s’immola le 16 janvier 1969 est devenu un mythe tchèque – après avoir été néanmoins oublié durant vingt ans : est-ce pour autant compréhensible, justifiable de se suicider pour une cause ? Anthony Sitruk en est convaincu : parti sur un coup de tête à Prague pour enquêter, alerté par les répercutions du suicide du vendeur ambulant tunisien qui a déclenché les émeutes qui se muèrent en révolution et chassèrent Ben Ali du pouvoir, il voulut savoir pourquoi cela n’avait pas été le cas en Tchécoslovaquie. Car en 1969, si le peuple tchèque fut bouleversé par l’acte de Palach, si des centaines de milliers de manifestants défilèrent devant sa dépouille, les soviétiques parvinrent à endiguer toute velléité contestataire…
Le printemps de Prague ne fut pas le printemps arabe !

Or, si l’on veut bien être pragmatique deux minutes, en quoi un suicide est-il héroïque ? En quoi le geste de Stefen Lux (immolé à Genève, en pleine séance de la SDN, en 1936, pour dénoncer les actes d’Hitler), celui de Ryszard Siwiec (immolé à Varsovie en 1968 pour dénoncer l’invasion soviétique à Prague), ou encore ces moins bonzes qui s’immolaient pour dénoncer la guerre du Vietnam ont-ils eu un quelconque retentissement, un effet concret sur la marche du monde ?
Si vous êtes prêt à donner votre vie, alors soyez efficace, attaquez-vous à la source. Tous les services de sécurité du monde vous le diront : ils ne peuvent rien contre un kamikaze, si une personne veut tuer le président Macron, il va cet été à Bormes-les-mimoas et lors d’une sortie, il se dissimule dans la foule et se jette sur lui… Comme le fit l’assassin de Rabin : et cela changea la phase du monde. La mort de Rabin enraya le processus de paix, la Palestine ne vit pas le jour, et son successeur, Shimon Perez s’activa à saborder les accords signés sous l’égide de Clinton, impuissant. Voilà quelque chose d’efficace !
S’il s’était immolé cela n’aurait servi à rien…

Comme ne servit à rien la mort de Jan Palach.
Alors oui, Anthony Sitruk s’emploie en bon romancier qu’il est, à étayer son enquête de petites pièces adroitement mises bout à bout pour narrer une histoire romantique d’un jeune homme tellement à bout, porté par un tel idéal, qu’il n’en pouvait plus de cette société totalitaire et de ce peuple qui dormait qu’il inventa un groupe de torches humaines qui allaient s’allumer tous les cinq jours pour dénoncer la dictature soviétique… avant de se raviser sur son lit d’hôpital en demandant que personne d’autre ne le suive. On connaît la suite.
Et non, monsieur Sitruk, ce n’est pas le suicide de Palach qui fut la petite graine qui mit vingt ans à germer et renversa le régime en 1989, c’est le cours du monde, la fin de l’URSS, la Pologne de Solidarnosc, la chute du mur de Berlin, etc. toute cette dynamique qui balaya l’idéologie soviétique. Après, pour habiller les errements de l’Histoire et la faiblesse d’un peuple soumis, on va chercher une icône, on invente un mythe pour que la communication soit plus facile…
Si l’immolation tunisienne porta ses fruits c’est uniquement par le biais des réseaux sociaux qui permirent la manipulation des foules, l’information instantanée et… un petit coup de pouce de l’extérieur. En 1969, l’information était tenue par l’URSS, elle verrouilla les médias, déplaça les restes de Palach, questionna et contrôla famille et amis et l’affaire fut entendue.

Tout aussi atroce que fut cette mort – et courte cette vie promise à une belle réalisation – le geste de Jan Palach fut inutile. Attaque ton ennemi, et non toi-même, pourrait-être la morale de cette triste histoire…

François Xavier

Anthony Sitruk, La vie brève de Jan Palach, Le Dilettante, juin 2018, 190 p. – 16,50 €

 

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