Les conteurs primordiaux de Patrick Chamoiseau

Dans un cheminement vers l'essence de la littérature, Chamoiseau avance à l'aveugle dès  la fin de la nuit  depuis Le Lamentin (Martinique). En conteur créole il se met en état poétique avec la nature. Entre rêverie et contemplation il continue à chercher sa voie et se demande chaque fois s'il reste bien "en" littérature.

Grand lecteur autant que grand écrivain il traque la puissance de l'instant créatif. Le conteur ne peut invoquer le conte, dit-il sinon à se transformer en panier. Il doit donc résister à la chosification en son "marronage" littéraire face à l'implantation des esclavagismes pour préserver son imaginaire et ses cosmogonies premières de "vivant nu" et contre le saccage mémoriel.

La danse est pour lui la seule archive qui appartient à l'homme nu et dépossédé de lui-même et qui n'a pas de langage avant de se transformer en conteur "primordial" par l'articulation de la parole créole. Celle-ci ne raconte jamais de manière linéaire mais zébrée face aux ordres. Et cela de manière naturelle qui devient une structure baroque de la pensée

Existe dans cette littérature du conteur créole une écoute attentive du "rien". Elle crée une "sentimenthèque", un cercle où le conteur inventait jadis une parole différente de celles des maîtres. Se retrouvent – pour faire comprendre cet art narratif jaillissant – Glissant mais aussi Rilke, Defoe, Joyce, Proust, Perse et surtout Rabelais et ses instances de mobilisation linguistique jubilatoire comparables à celle du conteur créole.

L'auteur va ainsi au bout des langues dans un sursaut créatif au-dessus des mécanismes de dominations et par-delà même l'Afrique perdue pour retrouver la part humaine première dans une expérience solitaire mais aussi solidaire. Et ce sans se perdre ou se dénaturer - bien au contraire.


Jean-Paul Gavard-Perret


Patrick Chamoiseau, Le conteur, la nuit et le panier, Seuil, mars 2021, 272 p.-, 19 €

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