Ferdinand Gouzon : L'Enfer

Ferdinand Gouzon ne cesse de rappeler que la véritable création rapproche d’Illuminations paradoxales et ferventes. Elles renoncent totalement au nihilisme mais sans tomber dans l’idéalisme. Et l'auteur de préciser que chaque œuvre digne de ce nom naît de la fange et du cloaque des états de la société. Mais les transgressifs majeurs ont répondu au souhait de Baudelaire : Tu m’as donné la boue et j’en ai fait de l’or.

C’est là l’envoûtante énigme de la création, son côté irréductible et irrécupérable face à ce que Gouzon nomme la forcément funeste, morsure du réel. L’auteur y entend la voix d’un enfant qui sait que le rêve existe et que la vie consiste à tenter de l’atteindre, toujours.
Mais chaque oeuvre pour le toucher doit d'abord devenir la réponse à : Il était une fois du conte perverti par une violence pure. L'auteur le prouve dans ce coffret à partir des oeuvre de Giambattista Tiepolo , Donatien de Sade, Francisco de Goya , Henry Darger , Morton Bartlett.

Les premiers cités prouvent que la modernité naquit avant-même le bruit et la fureur de la Révolution française. Ils n'attendèrent pas que cette époque fasse table rase du passé. Et ils montrèrent l'extrême violence comme l'écrit l'auteur au milieu d’un silence de cathédrale, à l’abri des regards inquisiteurs, dans le secret d’ateliers d’artistes tout à fait singuliers, ou dans des geôles humides et effroyables.

Gouzon s'intéresse aux oeuvres en avance sur leur temps et quelles que soient leurs époques. Transgressives lorsqu’elles apparurent elles furent souvent passées sous silence dans les coulisses de l’Histoire. Certaines - comme celles de Sade - restent encore irrécupérables et ce n'est pas demain la veille qu'arrive le  temps de leur acceptation surtout dans notre période d'hystérie morale.

Les Scherzi di fantasia de Tiepolo, Les 120 journées de Sodome de Sade et les peintures noires de Goya fixent le mal tel qu'il est en lui-même. Et les  empêcheurs de tuer en rond prouvent que le mal est autant le fait du vieux monde de l’Eglise, de l’aristocratie et des privilèges que de l'institution d'une mort industrielle qui va de la révolution en passant par la Shoah et les purges staliniennes. Toutes ces oeuvres anticipent l'Enfer terrestre en faisant abstration de tout paradis. Et Gouzon de résumer : L’art, avant même la philosophie, comprit que dans un monde sécularisé le principe du mal allait s’autonomiser et que la condition tragique de l’homme deviendrait de fait sa nature profonde.

Seuls les créateurs de mauvais genre ont donc mis en forme ce qui échappe à tout idéalisme. Et ce, sans prêcher - même si parfois le Divin Marquis, de gré ou de force, dut mettre des bémols à ses forces éruptives. Un peu comme Isidore Ducasse le fit en son propre temps. Mais les silences de l'art, le mutisme d'une littérature étouffée ne cessent de grincer à qui veut les percevoir loin des perdre-voir ou écouter des pensées et images officielles.


Jean-Paul Gavard-Perret


Ferdinand Gouzon, Les silences de l'art, Littérature Mineure, Maison Dagoit, Rouen, coffret cartonné noir, 32 €

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