"Le Livre Impossible" : dernier roman de Marc Vilrouge sur l'impossibilité d'écrire

La fuite en avant d’un écrivain en proie à l’impossibilité d’écrire ; un livre marqué par l’urgence, où le thème classique de la page blanche s’alimente d’un cercle vicieux décrit avec une froideur troublante.

En fond, le constat navrant d’une génération larguée, aux repères faussés, ayant perdu l’enthousiasme et le goût de la conquête, ne parvenant à rompre que dans l’auto-destruction.

« Les mots désertent la peur. »

Flavien avait tout pour réussir. D’ailleurs il avait réussi, surtout pour ses parents. Conseiller à l’Assemblée Nationale il est leur fierté, l’accomplissement d’une vie. Seule part d’ombre : ses romans. Sa famille aurait préféré de belles histoires et ne pas se reconnaître dans les personnages mis en scène par leur fils prodigue. La réalité est bien plus sombre encore.

Flavien est au chômage depuis un an, ayant quitté son travail, sur un coup de tête, projetant de consacrer sa vie à l’écriture. En vain. Devant l’impossibilité d’écrire il s’enfonce chaque jour un peu plus dans la drogue, et les partouzes auxquelles il participe, désabusé, ne font que renforcer ce sentiment de vide rendant ses velléités littéraires stériles. Le livre qu’il porte en lui s’écrit dans ses veines, dans un état de veille, comateux. L’argent s’envole aussi, peu à peu, et l’assuétude au GHB le conduit tout droit en HP.

Il tente de se ressaisir et file vers le sud, rejoindre ses parents, pour tenter de se reconstruire. Mais déjà l’épreuve s’avère être insurmontable. L’idée de décevoir ses parents le tétanise. Pourtant l’acteur est bien rôdé. Rien ne doit transparaître et Flavien joue son rôle à merveille, si bien que tout semble encore en place et qu’une renaissance semble probable. L’image du fils paraît intacte. Mais à l’intérieur il craque, le décalage est trop grand, la pression trop forte. Le mot fin doit s’écrire, d’une manière ou d’une autre.

Marc Vilrouge (1) signe un livre corrosif et nerveux, criant de sincérité. Ne laissant que peu de place aux circonlocutions et aux ornements, la sécheresse est de mise, dans une quête désespérante de l’essentiel. Ce bref roman semble être une course contre lui-même. On sent derrière chaque phrase le désir effréné de saisir le néant par les faits, d’épingler le malaise comme un insecte rare, dans toute sa crudité, d’en finir avec les faux-semblants. Pas de cynisme ici ; juste mettre carte sur table. Pourtant l’ennemi ne dit pas son nom et le mal qui ronge ressemble étrangement au bonheur et à la liberté.

« Les drogues ne donnent pas de talent et n'ouvrent que des portes. Bien souvent il n'y a rien derrière. »

Le talent est là, pourtant. À l’instar d’un Fitzgerald qui enfanta dans la douleur quelques pages magnifiques sur son impossibilité d’écrire, Marc Vilrouge étreint ce paradoxe avec succès, le résultat est là : fragile, fiévreux, sans complaisance. Fatal.

Arnault Destal


(1) Marc Vilrouge est décédé peu après la sortie du roman.

Marc Vilrouge, Le Livre Impossible, Le Dilettante, janvier 2007, 93 pages, 12 euros
Aucun commentaire pour ce contenu.