Requiem pour la jeune amie, ou le portrait de "quelqu’un de très très bien"

La jeune amie est morte, violée, assassinée il y a quarante ans. Le narrateur,  qui repeint  une bibliothèque en équilibre instable sur un escabeau éprouve un sentiment de déjà-vu, de déjà-senti qui le ramène à l’époque, ou ensemble, ils remettaient à neuf des appartements  bourgeois aux parquets en point de Hongrie, entre rires et chutes d’escabeaux, justement.
La jeune amie faisait partie des piliers de sa vie, était sa jeunesse, déjà si lointaine. Ils s’étaient rencontrés à une soirée, s’étaient reconnus un peu à la marge. Il était amoureux d’un acteur au caractère dépressif, au shit mauvais, violent qui n’acceptait pas de ne plus avoir les premiers rôles à la télévision : ses cheveux tombaient, il tombait avec eux.

Elle  qui avait passé son enfance en Afrique ne savait pas trop de quoi son avenir serait fait ; lui, non plus, parfois manutentionnaire, parfois figurant pour le cinéma avec ces visages au kilomètre. Il était issu d’un milieu populaire avec un père au physique d’acteur de cinéma, de parigot évoluant  dans un Paris interlope à la Modiano. Son métier, placier de jeux automatiques embarrassait l’adolescent qui aurait préféré un père plus conventionnel, plus éduqué, comme celui de son amie géologue, mort trop jeune en Afrique. 

Les deux jeunes gens marchaient beaucoup dans la ville la nuit jusqu’au petit matin, échangeaient, participaient à des fêtes au Palace, au Sept. 
Rien n’était simple. Il aimait les arts premiers, la jeune amie était mal à l’aise avec ce qu’elle considérait comme du pillage : On ne peut plus s’approprier et exploiter les corps ? Qu’à cela ne tienne, on volait leurs figures sacrées et on s’enrichissait des empreintes de leur âme.
Leurs mères auraient sans doute aimé que cette amitié évolue vers un avenir commun, mais non. Et quand bien même, la jeune amie avait le pressentiment qu’elle ne ferait pas de vieux os…

Le roman de Gilles Leroy est impressionniste, avec ses phrases qui font mouche et touchent au plus juste : en quelques mots, il campe  par exemple, les Rita Mitsouko avant un concert au Palace : une fille qui fait la gueule et un homme gris et maigre. 
Il décrit en  de touchantes notations, l’histoire d’amitié entre deux êtres ni vraiment perdus, ni vraiment à l’aise,  mais qui, à deux trouvent un équilibre magnétique. Il esquisse le portrait d’une femme belle et forte à sa manière. 
Peu importe au final qui a tué la jeune amie, il dépeint celle qui fut si vivante, si prometteuse, même si ces promesses n’avaient rien de celles, appréciées par l’Académie mais qui étaient celles de sa jeunesse, de toute jeunesse, probablement.

L’auteur de l’inoubliable Alabama Song, envoûte à nouveau le lecteur avec ses remarques fines, ses mots précieux : les bêtes pharamines et rend inoubliable cette jeune amie, quelqu’un de très très bien.

Brigit Bontour

 

Gilles Leroy, Requiem  pour la jeune amie, Le Mercure de France, février 2021, 224 p.., 18,80 €
Découvrir les premières pages...

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.