"Crépuscule" de Michael Cunnigham, un autre New-York New-York

Peter et Rebecca Harris incarnent la réussite dans un New York post 11 septembre plus étrange que jamais. A quarante ans ils ont réalisé leurs rêves : lui est galeriste, elle travaille pour une revue branchée. Ils habitent un loft épuré, aiment leur travail. Peter se veut plus créatif qu'homme d'affaires. Rebecca s'inquiète du devenir de sa revue. Une certaine routine de luxe s’est installée entre eux.


Ils s'inquiètent pourtant : leur fille Béa n'est que serveuse de bar à Boston. Rebecca a un jeune frère Mizzy, diminutif de Mistake, l'Erreur. Il est arrivé par surprise bien après ses sœurs aînées et se drogue, ne parvenant pas à décrocher malgré l'insistance de celles-ci à le faire admettre en rehab.


Peter de son côté voit avec angoisse la vieillesse arriver, songe aux airs que l'on passera à son enterrement.


Aussi quand Mizzy demande à s'installer quelques jours, c'est comme un seau d'eau froide sur une gueule de bois. Peter qui rentre d'un rendez-vous avec une amie condamnée par un cancer ouvre la porte de la douche et croit voir Rebecca de dos avec son beau corps encore svelte et ferme.


C'est Mizzy, double masculin ambigu de sa femme qui apparaît.

Au fil des pages, Peter se trouble, s'angoisse, va-t-il répondre aux invitations de son beau-frère, mettant enfin un nom sur son malaise ?


Est-il homosexuel refoulé ou simplement amoureux de sa femme plus jeune ? Pire, a-t-il le droit d'aimer Mizzy pour ce qu'il est ; un garçon perdu qui lui rappelle tant son frère mort du sida, très jeune, commettant en pensée un double inceste ?


Dans ce roman dense et juste, l'auteur de The Hours n'est pas sans rappeler Thomas Mann dans Mort à Venise mettant l'accent sur le temps qui passe, la jeunesse perdue, la beauté des jeunes gens égarés.


Le livre est aussi une implacable description du marché de l'art et de ses acteurs, de la ville bouillante et mortifère qu'est New York.

Les non-dits ne sont jamais formulés, les traîtres n'en sont pas puisqu'ils sont jeunes et que l'on pardonne tout aux cadets depuis toujours en vertu de leur grâce éphémère.

 

Crépuscule est différent de The hours ou de Pastorale américaine qui valut le Prix Pulitzer à Cunningham mais tout aussi troublant avec son parfum de paradis perdu, de Mittleeuropa.

 

Brigit Bontour


Michael Cunningham, Crépuscule, Belfond, février 2012, 20 euros


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