Robert Combas mis à nu face à La Mélancolie à ressorts

Invité au Carré Sainte Anne de Montpellier (exposition du 6 juin au 21 septembre 2014), Robert Combas a succombé au charme si particulier
de cette ancienne cathédrale désormais métamorphosée en écrin et a décidé d’y
consacrer un versant spécifique de son œuvre, tableaux réalisés à cet unique
dessein, en harmonie totale avec le lieu qui allait les abriter le temps d’une
manifestation. Performance que celle-ci ?
Certainement pas dans le sens où
vous risqueriez de le comprendre, le spectacle n’est pas dans la salle ni porté
par des propos sans cesse volés par des journalistes en mal de sensationnel,
laissant traîner leur micro sous le nez de l’artiste, sachant qu’il finira
toujours par oublier un mot, une phrase taquine crépiter entre ses lèvres, non,
ici, haut lieu de spiritualité d’abord, ne serait-ce que par l’histoire de ces
murs, c’est d’émotion en recueillement que vous irez d’une station l’autre,
tiens, oui, aussi, comme pour le Chemin de croix que Combas & Kijno
exposent également à Montpellier, en même temps, et vous serez donc surpris par
cette nouvelle donne chromatique que Combas décline sous vos yeux ébahis puisque
de couleurs flamboyantes, de caricatures désopilantes cette fois, il n’en est
point question, le trait est épuré, le sépia invité, la tonalité
sanctuarisée : regard sur un temps révolu, passé, épuisé par autant
d’efforts pour en arriver là, tout ça pour ça ?! Certes, mais quel
dépaysement face à ces toiles magistralement mises en scène, quel tacle aux
dérisoires étiquettes encore collées ici ou là sur le dos de l’artiste en
piédestal vénéré sans toujours savoir pourquoi. Combas est à la mode, et
alors ? Aujourd’hui n’est pas demain et ne sera jamais après-demain, les
courtisans vont leur chemin et les marchands spéculent quand l’art regarde
ailleurs, j’entends l’art qui compte, celui qui demeurera quand la caravane des
suiveurs aura passé le gué pour sentir l’herbe grasse en d’autres prés
découverts dernièrement du côté de l’Asie, comme si tout devait sans cesse
demeurer en mouvement.

Slow time nous
rappelle Robert Combas, arrivé en retard lors de notre déjeuner, pourtant Sète
n’est qu’à un jet de pierre et quand bien même, son temps n’est pas le nôtre,
et c’est lui qui a raison, la ponctualité est la politesse des rois quand
l’artiste affiche sa bouffonnerie : c’est lui et lui seul qui peut dire
les choses sans finir au bout d’une corde. L’artiste va son chemin et son temps
sera obligatoirement le nôtre puisque lui seul connaît la bonne mesure.
Lentement Combas vient à vous, timide de candeur dans le respect de son art, il
se livrera plus tard, quand on aura pris le café puis déambulé dans les ruelles
du vieux Montpellier pour arriver à Carré, que l’on aura levé le nez, admiré, rendu
les armes, vaincus par tant de grâce en vérité nous aurons les larmes aux yeux
pour tenter de formuler une question alors que les caméras s’improvisent
voleuses d’images mais c’est à ne rien y comprendre puisque Combas s’amuse à
jouer du contrepied, il vole d’un tableau l’autre, semelles de plumes, soupire,
martèle et s’insurge, rappelle l’essentiel et souligne son poème pictural, lui
aussi voleur de feu dans la quête d’un instant, celui volé à Chronos quand la
main dessine et que le critique parlera de courant, de famille, de mouvement
mais une fois encore, c’est ailleurs que cela se passe, au seul fond de votre
iris, quand la pupille sera tellement dilatée qu’elle ne laissera que la forme
du tableau se graver dans votre âme, aspirera toute l’énergie de la vie qui est
en vous pour s’en nourrir et vous renvoyer le miroir déraisonnable de votre
condition face à un tel chef-d’œuvre !

Habiter c’est vivre dans, nous dit Michel Onfray dès l’incipit de son texte qui accompagne ce très bel album qui, particularité toute montpelliéraine, ne présente que des photos prises in situ, parfois avec son public, offrant ainsi plus qu’un catalogue, un souvenir, une réalité préservée dans un carcan de papier glacé. Habité, en effet, ce Carré Sainte Anne par Combas, mais pas à la manière bourgeoise avec armes et bagages, plutôt dans l’esprit de Matisse qui envoûta la chapelle du Rosaire, à Vence, en 1951 voire de Kijno qui déstabilisa les paroissiens avec ses peintures pour l’autel de l’église Notre-Dame de Toute Grâce, sur le plateau d’Assy en 1949 (l'artiste brûla une partie de son travail devant la révolte des paroissiens et ce ne fut qu'au tout début des années 2000 que l'ensemble put enfin être présenté). La foi et l’art ne font pas toujours bon ménage, le peintre portant parfois en lui quelque diablerie qu’il s’ingénie à sublimer surtout en ces lieux de dévotion absurde, si bien que Combas dans une église, même déformée sens la réforme en étendard, pied de nez à venir, le danger est partout : on saluera le courage de Numa Hambursin, le conservateur, qui se tient prêt à subir la tempête des ligues bien pensantes qui, n’en doutons pas, seront aussi vigilantes que celles de Montélimar qui, par le passé, par la voix du maire-adjoint, Délégué à la culture, m’expliqua dans l’atelier de Velickovic, alors que l’on choisissait les toiles qui devaient figurer dans la rétrospective qui s’annonçait, combien ces parturientes qui accouchaient de rats ou de boîtes étaient sublimes mais non, vous n’y pensez pas, en province, à Montélimar, il va y avoir du rififi…
Passons. Puisque ici, en ce lieu jadis de recueillement, c’est bien l’irrévérence
salutaire qui s’installe dans des hauteurs particulières (immense sculpture en
point névralgique, La déesse Isis
culmine à plus de six mètres !) et cette dominante noir & blanc pour
intemporaliser la scène. Ce grand tout s’embrasse d’une volée, sans prêter
attention aux noms qui porteront leur poison plus tard, dans le temps de
l’analyse (Méringo le fluorgenté, le jour
de flûte – La jeune connasse – Au milieu des restes – L’Homme à la barbe de mer – Tête de cagole de Lyon) tourbillon sur
soi-même dans le même élan d’introspection qui fera que par la suite on
s’attardera de toile en toile, on remarquera quelques coulures jaculatoires en
arc-en-ciel de vie persistante sur cette mélancolie affichée. Vérité jaillie
des tripes de l’artiste, Robert Combas est nu, pour la toute première fois sans
doute, manteau à terre, cerveau en feu, le roi est mort, vive le roi !
François Xavier
Robert Combas – La Mélancolie à ressorts, catalogue de l’exposition éponyme, textes de Numa Hambursin & Michel Onfray, Lienart, juillet 2014, 64 p. – 20,00 €

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