Mylène Besson : dommages collatéraux

La Guerre – dans le ligne du Massacre des Innocents et de Guernica – provoque un effet d'abîme.  Ce ne peut être que la fin du monde en avançant, aurait pu dire Rimbaud à propos de cette successions et amoncellements de visages d'enfants et de femmes.

Une telle œuvre rappelle que ce n'est pas la vie qui tue mais ceux qui laissent mourir les innocent(e)s en tant que dommages collatéraux des guerres parfois sans nom.

Avec Mylène Besson de telles victimes possèdent une forme. Et les habits dont elle les revêt n'est pas un linceul.  Ce qui n’enlève donc rien la question : que faire avec ces sépultures ?
Car voici les corps morts qui ne sont plus des bouées du même nom. Que peuvent-ils faire, que peuvent-ils donner ? Leur accorder un nom est difficile. D'ailleurs au nom de qui leur donner un nom ?

Restent les indescriptibles traînes macabres à l'instant où, par la peinture, les morts reviennent hanter les vivants à travers l’étoffe liturgique de toutes les lumières que l'artiste a créées pour les premiers.
Mylène Besson déborde de la force de vivre contre le peu qu’elle semble ici C’est pourquoi une telle œuvre ne se quitte pas. 
Sans que l'artiste joue du moindre pathos ou de l'horreur, restent comme un dernier murmure, un ultime comment dire, une sorte d'ultime soupir ou frisson là où celles et ceux que la vie a quitté auraient exigé - si cela leur avait été permis. A savoir une autre histoire avec une autre fin.
Il s'agit alors bien plus qu'un besoin mélancolique de partager le chagrin (car d'une certaine manière nous aussi sommes criminels) mais de trouver de la vie cachée. Les corps sont là pour montrer à celles et ceux qui restent  un chagrin .

Les corps sont donc des coups de poing. Ce sont ceux des petits Moïse et de leurs mères sortant de l’eau, s’écroulant sur le sable. Ils souffrent encore. Peut-être devrions-nous compter les journées de joie qui nous restent sur les doigts de leurs mains mortes.

Avant que le gris-noir ne s’étende, avant la nuit totale, surgit dans le silence le bruit sourd du fleuve des morts. Il y a toute la brutalité du marquage qui écrase ou soulève dans des couches denses où la couleur est parfois absente.

Jaillit le monde de la présence précaire. Il l’est dans la douleur muette mais incarnée. La mort dérobe la vie par son jargon de l'authenticité. Soyons en conséquence certains qu'une telle image renvoie à notre inconscient barbare. En des spasmes telluriques d'un rite inaugural, l'origine  tragique du monde est là. Dans le tapage du silence. Il dégage un profil particulier que l’éternité ne peut nier.


Jean-Paul Gavard-Perret


Mylène Besson, La Guerre, Éditions Regard / Marie Morel, juin 2021, 112 p.-, 28 euros

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