Armagnacs et Bourguignons, 1407-1435, par l'éminent Bertrand Schnerb

Toute l’utilité de l’Histoire…


Bertrand Schnerb est un médiéviste reconnu, professeur à l’université de Lille III. Il nous propose une étude sur Armagnac et Bourguignons, à la charnière des XIVe et XVe siècles. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai, ayant écrit l’Etat bourguignon et une biographie sur le duc Jean sans Peur.

Le roi est fou…

En août 1392, il fait très chaud sur la route de Bretagne. Le roi Charles VI, sombre dans une crise de folie, un ermite, des bruits d’armes et une canicule tyranniques. Il ne se remet qu’au bout de quelques mois. Sa santé reste fragile et souffre de crises de plus en plus longues et fréquentes. Le pouvoir a donc de longues périodes de vide, et ne dit-on pas que la nature a horreur du vide ? La reine Isabeau de Bavière, à laquelle le marquis de Sade n’a pas fait grand bien (sui generis), semble bien dépassée par les événements et passe des années à chercher un protecteur. Deux grands princes et leurs clientèles s’affrontent à la cour alors que la papauté elle-même s’enfonce dans le « grand schisme » qui voit plusieurs papes concurrents se partager les ouailles

… Et les princes se réveillent !

Louis, duc d’Orléans et frère du roi, s’oppose à son oncle Philippe, duc de Bourgogne, non seulement sur la politique à mener dans le royaume (et la manne indispensable de la fiscalité royale) mais encore sur les territoires que Louis cherche à prendre dans la « sphère » bourguignonne, la politique à l’égard de l’Angleterre ou de la papauté. La balance penche alternativement en faveur de l’un ou de l’autre à la faveur des fragiles rémissions du roi qui cherche toujours à établir l’équilibre et la paix. Un pas est franchi avec le successeur de Philippe, Jean sans Peur. Louis est assassiné sur son ordre dans une rue de Paris le mercredi 23 novembre 1407, entre sept et huit heures du soir comme le rapporte le témoignage de Jaquette, femme de cordonnier, qui surprend la scène en rentrant un drap accroché à sa fenêtre de la rue Vieille du Temple (in detail veritas)… On ne peut pas obtenir justice d’un aussi grand seigneur qui s’empresse de faire justifier son acte par un juriste, Jean Petit, au demeurant bien mal à l’aise dans cet exercice imposé (à se demander parfois si notre salaire n’est pas proportionnel à la putasserie de notre métier).

La guerre civile

Jean s’empare du pouvoir en octobre 1407 mais l’opposition ne désarme pas et forme autour de Charles d’Orléans (fils de la victime), la ligue de Gien. L’un des piliers de cette alliance, Bernard d’Armagnac, donne son nom au parti qui est enraciné dans le sud-ouest de la France. Aucun camp n’est assez puissant pour remporter une victoire définitive, manque d’argent, démagogie avec retour de bâton (notamment la suppression des impôts proclamée par Jean pour séduire une opinion populaire dont le soutien est indispensable), manque de contrôle sur les hommes… On tourne autour de Paris à de multiples reprises. Les Parisiens changent plusieurs fois de camp, le libérateur d’hier devenant l’oppresseur de demain. Jean s’appuie sur les « Cabochiens », parti parisien qui émane surtout de la puissante corporation des bouchers, puis perd tout contrôle (1413, « oignez vilain, il vous poindra, poignez vilain, il vous oindra » dira Rabelais). Chacun fait appel à l’Angleterre qui mène son propre jeu face à la faiblesse de l’autorité royale surtout à l’avènement d’Henri V en 1413.

L’ennemi au lieu de .. ?

Le roi anglais fait à nouveau siennes, les vieilles revendications au trône de France, nées des problèmes posés par la descendance de Philippe IV le Bel  et de l’arrivée au pouvoir des Valois (1328). La fine fleur de la noblesse française est exterminée ou capturée à Azincourt (1415, Charles d’Orléans aura ainsi tout loisir de poésie). L’alliance entre les Anglais et les Bourguignons leur permet de mettre leurs adversaires à genoux. Notre auteur peint un  Dauphin, futur « roi de Bourges », Charles, beaucoup plus fort qu’il n’y paraît de prime abord grâce à un socle territorial solide. Finalement, le 10 septembre 1419, sur un pont, à Montereau, il fait assassiner Jean sans Peur, suivant le conseil des Armagnacs, tout de vengeance, qui le seconde. Le parti bourguignon s’en trouve affaibli, certes, mais la réconciliation française s’évanouit. Sous cette impulsion, le pauvre roi Charles VI en vient à signer le traité de Troyes qui dépossède le dernier fils qui lui reste de ses droits à la couronne, au profit du roi d’Angleterre, le tout jeune Henri VI (1420). La population, éreintée par la guerre incessante, n’en a cure malgré son patriotisme réel (vieille querelle politique sur la naissance du patriotisme, à défaut d’être ce que l’Histoire devrait être). Le fils de Jean, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, ne pardonne pas, mais nombre de gens de son parti sont gênés par les conséquences du traité de Troyes.  Le 21 octobre 1422, le pauvre Charles VI, rend sa pauvre âme à Dieu. Son indéniable cohérence politique a été rongée par la maladie. Si son cortège funéraire est bien maigre, le peuple ne s’y trompe pas et pleure le roi qui, seul, aurait pu le protéger de l’appétit des puissants. 

L’avantage de l’argumentation ?

Le nouveau roi, Charles VII s’attaque à la Bourgogne, le « maillon faible », tentant de séduire l’Angleterre ou de susciter dans l’empire allemand, des soutiens face à un début de « tentation lotharingienne » (en d’autres termes l’idée de former un état bourguignon qui reprendrait la situation du traité de Verdun en 843, idée un peu fragile dans les faits et les sources). Philippe le Bon a été mangé par l’alliance anglaise. Son père et son grand-père voulaient tenir la France. L’impossibilité de vaincre et l’esprit de parti ont donné le royaume à l’Anglais qui n’entend pas le lâcher, en langage courant cela s’appelle « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Philippe se replie sur l’idée de l’Etat bourguignon puisqu’il a ouvert la boite de Pandore. Jeanne d’Arc apparaît, c’est le mot ; Jeanne, issue d’une enclave armagnac, galvanise le camp royal tout aussi « englué » que son adversaire bourguignon dans l’absence de solution. L’auteur évoque la performance de Jeanne à  toucher un roi aussi méfiant qu’un serpent, placé par les circonstances face à des épreuves que l’ordre dynastique ne lui destinait pas. Elle est capturée et condamnée par l’entremise alliée, brûlée comme sorcière dans le but politique évident de discréditer le sacre de Charles VII, qu’elle a conduit à Reims. Malgré tout Charles VII prend inexorablement l’avantage tant sur le terrain militaire que politique.

Silence de la victoire ?

En 1435, c’est une espèce de conférence européenne qui scelle la réconciliation : le traité d’Arras, avec de près ou de loin, tout le gratin de l’Europe. Philippe le Bon gagne tout dans le temporel, des territoires, l’arrêt des manœuvres françaises auprès des impériaux, l’exonération personnelle du serment au roi, des sous, l’exemption du service militaire (l’ost en réalité) et une âme toute neuve (par la grâce des juristes) pour tout serment prêté à l’Anglais. Il perd tout au point de vue « spirituel ». Son état a des tripes mais il n’a pas d’âme, tout cela ne lui survivra guère et Charles le Téméraire en payera la note, en 1477, aux Suisses et aux loups ?

Charles VII entreprend la lente reconquête de son royaume. Elle durera  presque 18 ans.

Remarque

On sera sans cesse agacé par les fautes de frappe et le manque de clarté instructive de l’édition tant au point de vue des cartes (étiques !) que des notes  (jamais en bas de page !); une intelligibilité à l’encan, qui compromet, sauf pour une forme irritante de l’intelligence française, la richesse du récit. On a le plaisir insigne de rencontrer un auteur et une collection qui, par la précision des informations, en renouveau, ont le respect de leur lecteur. On notera aussi la précaution de langage dans le titre, entre « guerre maudite » et « maudite guerre ». Oups,  j’oubliais les préceptes de Marc Bloch…


Didier Paineau 

Bertrand Schnerb, Armagnacs et Bourguignons, Perrin, "Tempus", mai 2009, 409 pages, 10 euros

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2 commentaires

Bertrand Schnerb... et non Bernard !

merci, c'est corrigé