Rienne ou le tissé poétique de Rodica Draghincescu

 

Puisant l’inspiration à partir du travail de la plasticienne Suzana Fântänariu, Rodica Draghincescu tisse un drapé poétique dont elle seule possède le don. Cette poésie sonore en mécanique visuel déchire l’œil trop endormi dans ses habitudes terrestres et ses convenances médiatiques : ainsi le voilà (enfin !) nu, tel qu’en lui-même, petit globe visqueux et humide, fragile et inquiet, gourmand cependant face à tel festin qu’il se ravise, change d’apparat et s’adonne sans modération au plaisir de lire, quitte, parfois, à quémander à la langue, complice et amie de toujours, de palier à la déficience de l’à-plat pour que s’envolent les sons, notes musicales qui rappellent aux plus distraits d’entre vous que la poésie est, à l’origine, un art oral, une langue unique à distribuer à la criée, et seulement…

Anime (–) ma chose, mets-moi au monde, mets bas mon âme.
La vie est un échange de sels (salive et sperme), une chose c(r)achée par un ventre. 

Désaimons-nous. Ce n’est que la démesure qui mesure la liberté. Enfuyons-nous dans l’au-delà.

Être libre de ne pas être la chose à avoir.

Ainsi il en va de ce recueil d’harmonies décalées qui vrillent tympans et âme pour saillir dans les veines du lecteur qui n’aura rien compris à la magie mais savourera le résultat. Chair de poule et canons résonnent à son oreille dans la redite d’une lecture maintes fois reprise, non pas pour aller vers une compréhension inutile, mais pour ressentir encore le chaud souffle du poème dans la transcendance immédiate d’un plaisir pur.

2 : 2 = un petit rien

Quand les choses se mettent à respirer ensemble, c’est que nous sommes déjà séparés. L’un de l’autre. De deux choses l’une. 2:2. No-Us. Nous deux.

La pire chose des temps laissera une lumière brune sur nous. 0:0. Non lieu. Non-être. Quelque chose dont on n’est pas fiers.

Le rien qui annonce l’amour. Lance-le avec espoir.

Pour les plus inquiets, les curieux, les intellectuels, la note d’introduction est à lire… après le poème ! Quant aux autres, mes pairs, n’en faites rien, elle nuirait à la perfection du voyage que vous allez entreprendre. Enfermez-vous à l’extérieur, loin du vacarme, sous un arbre, avec un peu de ce dernier soleil d’automne qui réchauffe encore vos joues, et lisez lentement, très lentement, ouvrez la bouche quand cela s’impose, fermez les yeux et laissez l’écho vous répondre…

La lune me fuit. Elle tombe dans mon corps. Ton indifférence la fait briller encore plus, au pied de la fenêtre. À gauche du crépuscule, la torche du vent s’est éteinte. L’horizon distribue ses charmes sur ma peau humide. Rien n’est plus comme avant. Mes mains y ont composé une levée du sens. La lumière tient encore en haleine les choses exorcisées.

François Xavier

Rodica Draghincescu, Rienne, accompagné d’un cahier photos couleur du Journal utopique de l’artiste Suzana Fântänariu, coll. Accents graves, Éditions de l’Amandier, mai 2015, 54 p.-, 14 €

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