"Le Poète russe préfère les grands nègres" d'Edouard Limonov

Flammarion réédite deux ouvrages de Limonov. Celui des deux dont il est question ici,  Le Poète russe préfère les grands nègres, fut publié la première fois en 1980 par les éditions Ramsay. A l’époque ce fut une sorte de petite bombe dans la faune germanopratine : il était possible de confier au papier à peu près n’importe quoi dans les termes les plus crus. Depuis, il y a eu Despentes, Houellebecq et quelques autres. Toutefois, il y avait eu Pierre Louÿs, Nicolas Genka… En quoi Limonov aurait-il été une révélation ? Difficile à comprendre. Oui, Limonov parle crûment de sexe. Il ne fut pas le premier. Oui, Limonov parle de ses aventures homosexuelles avec des mots ne laissant aucune confusion sur le sujet. Et alors, on en a vu et lu d’autres depuis. Une chose singulière dans le contexte : Limonov s’abstient de commentaire sur la Russie soviétique bien qu’il peste plus souvent qu’à son tour sur la société actuelle. Un bon point pour lui en dépit de son effroyable atermoiement sur sa position. Limonov sait regarder autour de lui.

Parmi la population hispanophone de mon énorme ville je constate qu’il y a bien moins d’indifférence. Pourquoi? Simplement parce qu’elle est arrivée plus tard dans cette civilisation et celle-ci l’a moins dévorée que les autres. Mais elle la menace aussi. Je pense qu’elle n’aura pas le temps de les achever et qu’elle mourra elle-même étouffée par la révolte de la nature humaine réclamant l’amour.

Et en Russie ? demandez-vous. La Russie et son système social sont aussi des produits de cette civilisation, et bien qu’il y ait eu quelques changements, cela n’y a pas fait grand-chose. L’amour quitte aussi la Russie. Et le monde a besoin d’amour, tellement qu’il en gémit. Je crois que le monde n’a pas besoin de distinctions nationales ou de gouvernements constitués par telles ou telles personnes, ni de changer telle bureaucratie pour telle autre bureaucratie, ni d’instaurer le communisme à la place du capitalisme; il n’a pas besoin des capitalistes ou des communistes au pouvoir, les uns et les autres portent des vestons: le monde a besoin de la destruction totale de cette civilisation fondée sur la haine des êtres humains, il a besoin de nouvelles règles de vie et de relations sociales d’une égalité réelle entre tous, une véritable égalité et non pas de ce mensonge qu’avaient inscrit les Français sur leurs drapeaux pendant leur révolution. L’amour des hommes pour leur prochain, afin que nous vivions tous aimés de tous, avec un cœur tranquille et heureux. Et l’amour ne viendra que lorsque les raisons qui font que la haine existe seront éliminées. Il n’y aura plus alors d’horribles Elena, la race des Editchka sera différente et celle des Elena aussi, et personne ne pourra plus acheter une Elena parce qu’il n’y aura plus de quoi les payer, il n’y aura plus d’avantages matériels des uns au détriment des autres.

Si Limonov avait été apprécié pour cette sorte de paragraphe, cela se saurait, et pourtant n’était-il pas dans le vrai? Ou bien pour cet autre :

Changer de métier. Et peut-on changer d’âme ? Quand on connaît parfaitement ses capacités, peut-on se contraindre à mener une vie de simple travailleur, sans aucune ambition en voyant autour de soi la gloire, le succès, l’argent acquis à peu de frais ? Peut-on l’admettre, quand on sait déjà, pour en avoir fait l’expérience, que l’URSS et l’Occident sont régis tous deux par le même système, à savoir que celui qui se montre obéissant et patient recevra tout de la société, que ce sont des lèche-cul serviles qui ont tout ?

De toute évidence, le livre de Carrère sur cet auteur sulfureux (?) a remis ses apitoiements à la mode (germanopratine, cela s’entend). Toutefois, bien que Limonov écrive vite et presque sans se relire dirait-on, son écriture emmène le lecteur et le lire peut s’avérer un réel plaisir. Une écriture pleine de punch, sans intrigue mais intrigante à souhait qui cache quelques petits joyeux de réflexion qu’il fait bon méditer sans pour autant y adhérer nécessairement.

Murielle Lucie Clément

Edouard Limonov, Le Poète russe préfère les grands nègres, traduit du russe par Emmanuelle Davidov, Flammarion,  septembre 2012, 20 auros

Edouard Limonov, Histoire de son serviteur, traduit du russe par Antoine Pingaud, Flammarion, septembre 2012, 20 euros

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