"La grande OPA de la finance internationale sur l'humanité"...

Flore Vasseur publie le roman du renoncement d’une génération (la sienne) et met en scène « l’OPA de la finance » sur notre espèce…

 

Flore Vasseur a « fait » Sciences politiques à Grenoble, HEC à Paris et chef d’entreprise à New York – elle y a créé sa société marketing. Après le 11 septembre 2001, à vingt-huit ans, elle change de vie pour se consacrer à l’écriture et à la réalisation de films documentaires sur la « mondialisation ». Remarquée pour son premier roman, Une fille dans la ville (Prix Découverte du Figaro magazine en 2006), elle a eu les honneurs des plateaux tv pour son second, Comment j’ai liquidé le siècle (éditions des Equateurs, cf. Les Affiches-Moniteur n°47 du 11 juin 2010).

Son troisième opus s’ouvre sur une citation de David Lynch (« Le monde est cruel en surface, cinglé à l’intérieur »), sur un passage du Discours de la servitude volontaire d’Etienne La Boétie et plonge dans la vie de Sébastien Costal, « seigneur de la com » pour le compte d’une célébrissime « banque d’affaires » - que la romancière a rebaptisée Folman Pachs, « la banque qui travaille contre l’intérêt de ses clients »...

 

Le bon côté du manche ?

 

Son employeur connaît jusqu’au taux de cholestérol de Sébastien… A NY où il est convoqué par Kamflin, le pdg Monde de « la firme », sa Mercedes Benz S550 noire aux vitres teintées croise les manifestants d’Occupy Wall Street – ceux qui sont de l’autre côté de la barrière et qui dénoncent « la grande OPA de la finance internationale sur l’humanité »... C’était ça qu’il couvrait jusqu’alors ? Le voilà chargé par Kamflin du dossier Brandenbourg – celui qui détaille « les étapes d’une escroquerie en bande organisée et à finalité politique » dont les victimes « se comptent en centaines de millions, la note en milliers de milliards ». Au sommaire, « le bidouillage des comptes européens par le menu » qui envoie l’espèce (à commencer par l’introuvable homo europaus) dans le mur de la Dette perpétuelle… Sébastien Costal est chargé de trouver « la bonne histoire à raconter » - celle de trop ?

Il y a aussi Bertrand, haut fonctionnaire à Bercy qui « surjoue son rôle de technocrate débordé dans les petits papiers du pouvoir ». Son job ? « Servir d’arbitre à des corporatismes parfaitement organisés qui ont totalement perdu le sens de l’intérêt général ». Sa femme Clara est une  journaliste en vue – « une poupée qui dit oui de peur qu’on ne l’abandonne » : au service d’une « presse au bord du gouffre » qui, « à force de collusion, a massacré sa raison d’être », elle recevra dans la salle du Conseil de l’Unesco les insignes de chevalier de l’ordre des Arts et Lettres.

 Il y a le phynancier Jérémie  qui en 2007 avait prédit la faillite de son ex-employeur et murmure désormais « à l’oreille des hedge funds »… Ce « médecin des banques » forme un couple irrésistible avec sa femme Alison, « la Californienne douée en tout » au QI de 167 : ex-major de promotion, libérée des « mesquineries du salariat », elle « tient un agenda de ministre dédié à la stimulation de son corps et de sa progéniture ».

Il y aussi Vanessa, « vice-président Corporate Affairs chez Public, l’un des plus grands groupes de communication au monde, elle sera bientôt chef de la fabrique à vide » - et « tient le monde dans son iPhone dernier cri ». La « reine des éléments de langage », des dollars plein les yeux, est amoureuse en secret de sa « cible » Sébastien, le directeur Europe de la communication de Folman Pachs évoqué plus haut...

Et puis il y a Antoine dans sa barre HLM de Sarcelles, un hacker qui a disparu de la circulation depuis quinze ans – « il est payé pour ses compétences techniques et son inexistence sociale » et se prépare en douce au crash final…

 

Une humanité en plein déclassement

 

 Tous ces personnages se sont  connus  à HEC dans les années 90, ils ont été des bébés requins gavés de futilités, de gadgets électroniques et de mirages. Leurs  dents longues ont rayé jusqu’au marbre des palais « républicains » - et de tous les autres… Shootés à « l’innovation numérique » et phynancière, ils font partie de la caste politico-médiatique et économique qui a épuisé tous les filons. Ils ont atteint la quarantaine et l’avant-dernière marche du pouvoir – ce n’est non plus l’âge des possibles mais du bilan : celui que Flore Vasseur fait pour sa génération – cette « inside girl » les a bien connus et croqués à mots chargés, en formules bien frappées…  Ils arborent des « enfants haut de gamme » - Sébastien est le parrain de Théo, le  fils de Bertrand et de Clara – , des agendas surchargés de « rendez-vous inutiles dédiés à des projets sans valeur » et aimeraient se croire encore à l’abri dans leur zone de confort, à l’ère d’une « incroyable interconnexion des destins », au sein d’une humanité en plein déclassement,   « écrabouillée sous le dictat du chiffre ». Mais qui tient leurs chaînes ?  Ils accèdent « aux affaires » au temps de « la toute dernière martingale, l’innovation financière que la profession se refilait pour maintenir ses bénéfices et le fantasme d’une croissance infinie »…Comme Bertrand, ils sont coincés entre le monde qui vient et celui d’avant, « du dogme de la croissance infinie, des ressources illimitées, des élites intouchables et des populations dociles » - ce monde où même les chauffeurs de taxi théorisent sur la « sensibilité du prix de la morue au cours du pétrole »… Si la peur donne de s ailes aux poules, qui est la fouine ? « Le 0,001% peut retourner le problème dans tous les sens. Sur cette terre, riche ou pas, personne n’a vraiment de plan B ».

 

Sur la « scène de crime »…

 

Dans la seconde partie du roman, Sébastien se retrouve sur une « scène de crime », « suicidé » au cours d’un « accident de personne » dans le métro – ou, si l’on préfère, « écrasé comme un cafard par une rame de RER, bloquant l’accès de Paris à des milliers de travailleurs » - oh juste « quelques milligrammes de PIB partis en fumée »… Mais qui a appuyé sur la touche « échappe » ?

Les sept personnages qui se croyaient de l’establishment sentent leur bulle crever : qui a vraiment besoin d’eux ? Clara tente bien de « se rebeller » en direct sur l’antenne, mais « à l’échelle d’une opinion publique, ce fut une micro-convulsion, bien moins  twittée » qu’un célébrissime « Allô, t’as pas de shampoing » - il y a « l’opinion publique et l’opinion publiée » qu’elle a servi jusqu’alors…

L’auteur caractérise ses personnages avec le minimalisme qui sied à une époque éditoriale survoltée favorisant les récits brefs e t livre un roman glaçant écrit au scalpel, non sans précipitation mais assurément sans graisse inutile. Hésitant entre « fiction romanesque » (s’appuyant sur des faits réels)  et journalisme d’investigation (enfant, Flore Vasseur rêvait d’être « journaliste »), le livre est remarquablement bien documenté sur bien des aspects (y compris techniques) de notre hypermodernité et comporte des flashcodes renvoyant à des sources documentaires pour qui voudrait « aller plus loin » dans une « lecture augmentée »…

Véritable ouvrage de vulgarisation et néanmoins roman remarquablement bien nourri de savoirs divers mais essentiels, il met en scène ce qui est en jeu dans l’Histoire – ou sa fin annoncée, lorsque « l’innovation » au profit de quelques uns  a confisqué le « progrès » que l’on croyait acquis pour tous… 

 

Paru dans les Affiches-Moniteur

 

Flore Vasseur, En bande organisée, Equateurs littérature, 318 p., 19 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.