Stéphane Nappez : la littérature à l’estomac


 

La violence contre soi-même est au centre des textes de  Nappez : c’est pourquoi l’oeuvre ne va ce pas vite - voire comme en reculant - dans des phrases hachées comme les marches d’un escalator fou  qui monte et descend. A son image l’auteur est fort et faible à la fois et ressemble à un personnage d’un film de  Dino Risi : « j’aime boire du mauvais vin avec des amis, mais je n’ai pas le goût du mauvais vin » dit-il pour se définir et d’ajouter : « J’ai conscience d’être un produit du marketing tabagique. Sauf que les poisons addictifs que l’industrie du tabac met dans ses cigarettes ne fonctionnent pas sur mon métabolisme ».

 

Toutes les idées de scenarii soulevées par l’auteur permettraient de faire des romans passionnants. Mais Nappez s’y refuse afin de ne pas tomber dans le rôle de tâcheron. Ce qui ne l’a pas empêché de fabriquer – subsistance oblige -  mécaniquement des livres de commande  autour de la musique. L’absence d’œuvre n’est due en rien au manque de talent. Nappez en a. Beaucoup. Mais il est comme les gens qu’on croit timides. Ils se cachent non par peur de déchoir  aux yeux des autres mais par crainte de n’être pas à la hauteur de leurs ambitions. Dès lors si l’auteur écrit « sans écrire » c’est sans doute qu’il ne peut faire autrement. L’œuvre devrait être mais elle n’est pas. Sinon par bribes comme le magnifique « Saignant ».

 

Le texte porte bien son nom. L’artiste sous couvert de fiction s’y mortifie comme un boucher le pratique pour sa viande. Dans le cas du premier il ne s’agit pas de la rendre plus tendre mais afin que se distingue les fibres et les nerfs. Dans un mouvement de scansions la fiction touche un volontaire degré zéro sauf dans l’écriture. Sa dureté, sa froideur atteignent le mental. D’autant que la sensibilité se veut annihilée. Néanmoins elle existe en ce « zéro frigorifique ». L’auteur pour autant ne trompe pas son monde. Son écriture est celle d’un désastre que ne renierait pas Blanchot et encore moins Artaud.

 

Au sein d’une machinerie qui tranche la fiction en lamelles Nappez plonge dans un univers privé de contextualisation. En ce sens aussi sa fiction est à rebours de ce qu’on nomme roman. Chaque phrase ressemble à un slogan : mais il n’a rien à vendre. L’auteur conjugue le déceptif. C’est là sa poétique : elle prend à revers standards et définitions admises. Plutôt qu’ouvrir un univers l’auteur le clôt selon le paradoxe suivant : l’absence de références crée non  une libération mais une forme d’infini pascalien. L’être y est plus que perdu : il est schizophrène d’un nouveau genre. Le créateur compresse ses segments phrastiques pour synthétiser une violence inédite. Celle que la langue peut faire à la langue et dont le lecteur pressent la  nécessité voire même une séduction particulière. Nappez n’est pas un innocent : il drague. Mais pas n’importe comment : selon une « littérature à l’estomac » bien plus réelle que cela représenta pour Gracq  inventeur pacifique de la formulation.

 

Il existe chez Nappez une littérature autrement efficace, dérangeante. Top peut-être. Si bien qu’elle fait peur à son auteur. Il soulève des monstres de pulsions que nous faisons nôtres et qui ne le sont pas mais qui pour peu que nous nous réfléchissions nous rendrait au trop peu que nous sommes. Le monstre lui-même n’est en nous que tigre de papier. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de fomenter tout le mal possible dans une posture S-M de tous les jours et de tous les instants. Si bien que s’il y avait un modèle à trouver pour Nappez il faudrait gratter du côté de Sade et sa théâtralité.

 

Jean-Paul Gavard-Perret.

 

 Stéphane  Nappez, « Saignant », Editions de la salle de bains, Rouen, 10 €.

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