Apolline en terre de poésie

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Le poète Greg Huck livre son premier roman à l’attention de lecteurs se sentant bien trop « immergés dans ce monde mortifère » - voire englués dans un sordide carnaval des apparences travestissant ses prédations… Aussi leur propose-t-il la sortie de ce carnaval en mode pastoral et initiatique c’est-à-dire en Arcadie – peut-être un autre nom pour l’enfance du monde ou l’infiniment terrestre :

« Je suis parti d’un fantasme : à force de lire des poètes, j’ai imaginé des conversations improbables entre eux.  Ainsi, Baudelaire n’aimait pas Verlaine, comme le révèlent ses correspondances. Pour moi, l’Arcadie est un monde parallèle où sont réunis des poètes capables d’insuffler à notre humanité cette petite flamme perdue : l’enthousiasme, qui signifie « être dans le souffle divin »… 

Il y a un lien entre ces deux sphères, l’Arcadie et notre monde : la jeune Apolline qui s’ennuie en humanité trouve dans le grenier de la maison familiale le recueil de son aïeul, le poète Nephtali avec cette parabole : « et in arcadia ego ».  Elle trouve un plan, rencontre une créature peu engageante, répond à une question (« qu’est-ce qui peut être nourri sans être assouvi ? ») et se retrouve admise en Arcadie. Elle est accueillie par Virgile qui lui explique le pays et lui conseille de ne pas aller trop à l’est où se trouvent des « mélancoliques qui veulent changer le système… ».

Virgile, on s’en souvient, situait l’entrée possible de l’Arcadie en territoire de Piémont – mais cette parcelle d’absolu hors de toute géographie pourrait bien être la prémonition d’un âge d’or à jamais irrévolu dans la traversée de nos ignorances. Ou du moins son impatiente nostalgie hors de nos calendriers, de nos cadrans et autres écrans asservissants – voire celle d’un monde qui se donnerait une nouvelle chance en entrant dans l’âge de la poésie…

Donc, Apolline « vêtue de rien, bien enchâssée tel un rubis brûlant » bouleverse l’ordre établi en Arcadie dont elle parcourt les quartiers jusqu’au nord (celui des poètes sans œuvre), conversant avec ses habitants – l’on y croise Antonin Artaud lavant des tubercules devant sa caverne et conviant Alfred Jarry à ses agapes crudivores avant de sacrifier au rite du soleil noir –, partage ses nuits avec Orphée, tombe sur ce « bouffi barbu » de Verlaine dont « l’Oreille personnelle » l’informe du débat qui occupe les douze poètes du Parnasse : celui de son bannissement à elle – alors que les insurgés de l’Est « espéraient qu’elle pût être l’élément déclencheur de leur révolution sans cesse renvoyée aux calendes grecques »... 

Mais la légendaire fontaine Castalie ne coule plus et la sécheresse menace de réduire en cendres cette « contrée des Muses, des poètes et des chevriers »…

Des pérégrinations de son héroïne, Grégory Huck fait de la pâte à aimable fiction, couplée à un vœu éminemment politique – un désir d’harmonie, de concorde universelle comme Virgile en appelait dans ses Bucoliques à la rupture avec l’héritage militaire de César. Mais nos contemporains « postmodernes » cherchent-ils encore, tête abîmée dans les écrans de leur asservissement consenti, ce pays doublement perdu à l’envers de ce monde de ressentiment qui se détache de son axe  ?

On l’aura compris, Grégory Huck entend donner le goût de la poésie aux jeunes générations – et y parvient, à en juger la réception de ses recueils dans un univers poétique en expansion constante : « Aujourd’hui, nous sommes dans l’impasse, Rome brûle tout le temps. J’ai pris un bonheur fou à écrire dans un tel monde le livre que j’aurais aimé lire, un peu comme le Demian de Hermann Hesse que j’ai quitté à regret après l’avoir dévoré… »

Comme le disait un autre poète, il y a dans l’art, et fondamentalement dans la poésie, quelque chose de bien plus fort que le doute et de moins ingénu que la foi – quelque chose comme ce « fil tendu entre l’insécurité totale et la sécurité inabordable, qui amalgame l’incertitude et la certitude »… Ce premier roman initiatique appelle une suite : « Il s’agit d’un processus de progression vers une connaissance, c’est de la rencontre avec l’autre à travers un livre guide… ». Un livre qui ouvrirait un chemin et donnerait de l’ombre comme le hêtre de Virgile tout en nous habitant de la puissance rayonnante de son silence – histoire, encore une fois, d’éveiller le langage en embrasement de libres aurores et d’imminences magnifiques…


Grégory Huck, Apolline en Arcadie, éditions belladone, 136 p., 9,50 €

 

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