La victoire par les mots pour Salman Rushdie

Retour à la fable. L’homme de lettres est le plus haï d’une partie du monde. Le plus connu aussi. Et malheureusement à la une de l'actualité dernièrement suite à l'attentat dont il fut la victime. Encore une fois, l'on pend conscience que la force des mots peut être aussi virulente qu'un coup de feu. Les esprits sont corruptibles. Les voix dissidentes doivent donc être abattues. Or, c'est par la voix que le dialogue s'engage. Le seul moyen d'éviter de se battre.
Salman Rushdie nous revient avec une épopée. Grand style, clin d’œil aux origines. Métaphore de notre monde qui s’écroule. Comme s’il voulait nous alerter, nous crier de nous réveiller avant de fracasser le mur qui est devant nous. De revoir nos priorités car le monde n’était qu’une illusion et c’est ce qui en faisait sa beauté.
Nous sommes dans le sud de l’Inde, au XIVe siècle. Une énième bataille vient d’avoir lieu entre deux royaumes. Sans intérêt : sauf à se pencher sur la rencontre divine qu’y fit une fillette de neuf ans. Pampa Kampa, accablée par le mort de son père, donne son corps à la Déesse. Ainsi sa bouche lui offre-t-elle la parole. En remerciement quelques pouvoirs extraordinaires s’invitent : elle contribuera à l’essor d’une grande ville. Bisnaga. Et l’éternité lui est accordée : nous la suivons sur 250 ans… Bien entendu, il va y avoir quelques frictions. Et accomplir la mission de la Déesse – faire de la femme l’égale de l’homme – ne sera pas sans risque. Et il peut arriver que Pampa s’émancipe du pouvoir de la Déesse. Pour les bien commun, cela va sans dire… Et alors elle n'hésite pas à appeler un chat un chat...
D’une écriture parfois ampoulée voire lénifiante aux clichés quelque peu woke, cette fresque n’en demeure pas moins un grand moment de littérature pour ceux qui auront le courage de s’ennuyer quelques fois. Mais leur plaisir sera décuplé à la page suivante. Montagne russe en pays bengali…

Annabelle Hautecontre

Salman Rushdie, La Cité de la victoire, traduit de l’anglais (États-Unis) par Gérard Meudal, Actes Sud, septembre 2023, 336 p.-, 23€

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