Toscan : L’éminence grise

Qu’on le veuille ou non, Daniel Toscan du Plantier fut un personnage important dans le paysage cinématographique français. Tellement important qu’on finissait par ne plus voir que lui, arbre cachant la forêt, trublion monopolisant l’attention. Il fut, à la fois ou successivement, producteur, directeur général de Gaumont et responsable d’Unifrance (organisme un peu nébuleux chargé de la promotion du cinéma français dans le monde). Il s’imposa (voire s’autoproclama) surtout comme le Monsieur Cinéma de l’Hexagone. Dès qu’il y avait un problème, il intervenait dans les médias, donnant des avis définitifs sur tout, aimant les formules à l’emporte-pièce et les vacheries délicatement enrobées. On le voyait partout, on n’entendait que lui. Un peu lassant à la longue.

Personnellement je suis toujours resté convaincu que Toscan n’aimait pas le cinéma. Plus exactement qu’il n’aimait que le "cinéma" qu’apporte le cinéma. Je m’explique : les films ne l’intéressaient pas vraiment. N’étant pas du tout cinéphile, il ne connaissait que les œuvres de son époque, incollable sur l’actualité mais vide dès qu’il s’agissait de remonter dans le temps. En revanche, il adorait les falbalas qu’apporte le cinéma : les festivals, les voyages, les dîners fastueux, les rencontres avec de grands artistes… et les actrices ! En fait, il aimait le cinéma pour toutes les mauvaises raisons et rarement pour les bonnes. Dans une salle, il préférait se trouver sur scène à pérorer qu’assis à admirer. La preuve de cet amour vicié est fournie par ce livre qui fait intervenir très peu de créateurs de cinéma (quelques réalisateurs, quelques acteurs) mais beaucoup de collaborateurs, d’amis, de proches qui n’ont pas vraiment mis les mains dans le cambouis, c’est-à-dire dans la pellicule.

Les fonctions de producteur de M. Toscan ne m’ont jamais convaincu. J’adore Mozart mais je déteste Don Giovanni de Joseph Losey, lui préférant de beaucoup Carmen de Francesco Rosi. Et je ne parle pas des autres indigestes films-opéras qui n’apportèrent rien ni au cinéma ni à l’opéra…

L’un de mes premiers articles de journaliste cinéma concerna l’arrivée de Christian Fechner chez Gaumont. Officiellement, il était engagé pour amener un peu d’air frais dans la firme à la marguerite mais tout le monde savait qu’il était surtout là pour redresser des finances, que le dispendieux Toscan avait malmenées. L’expérience tourna court, Fechner préférant retrouver sa liberté et Toscan étant poliment mais définitivement remercié. Dans cette lutte entre deux conceptions du cinéma, j’étais dans le clan Fechner.

Il n’en demeure pas moins qu’il fallait faire un livre sur Toscan. Jean-Marc Le Scouarnec s’en est chargé. Sacré travail. Énorme. Impressionnant ! Tant le personnage est à la fois complexe et multiple. Or l’auteur raconte tout : les films, les frasques, les femmes (uniquement les officielles !). Il raconte ces incessants mouvements avec moult détails. De la sorte, tout Toscan est dévoilé. Confirmant ses grandes qualités aux yeux de ses thuriféraires et ses lourds défauts à ceux de ses détracteurs. On sent dans quel camp l’auteur se tient, prenant parfois la défense de son sujet. C’est de bonne guerre (le cas de le dire). Au moins ce portrait complet permet de faire le tour de l’individu, de ne plus parler de lui sans vraiment le connaître. En ce sens, ce livre va sûrement devenir une référence, il le mérite.

Pour autant, il ne manque pas de (petits) défauts.

L’un concerne la totale et étrange absence de chiffres (hormis, parfois, les entrées de films). On a dit et répété que Toscan avait couté cher à Gaumont (et j’en ai beaucoup entendu parler quand j’ai fréquenté cette maison, bien des années après son départ !). Mais combien ? Ce trou financier qui causa sa perte, quelle était sa profondeur ? Cette absence de chiffres se retrouve dans les détails secondaires. Toscan vendit une partie de sa collection de nus, mais à quel prix ?

Si l’auteur n’en parle pas c’est aussi parce que l’intéressé s’en contrefichait… du moment que ce n’était pas son propre argent ! Comme il se désintéressait du tournage et de la construction d’un film (thèmes peu évoqués dans ce livre). Il avait tendance à donner des chèques en blanc à des cinéastes auréolés d’un prestige ancien. Ce qui ne fit pas de lui un producteur, pas même un mécène.

Ma principale gêne concernant cette biographie réside dans sa construction. L’ouvrage croule sous les citations et les coupures de presse (en majorité issues de La Dépêche du Midi, ou travaille Le Scouarnec). Quand Toscan lui-même parle, cela parait justifié (ses propres ouvrages sont plus que mis à contribution) mais quand toutes les trois lignes un témoin apporte son point de vue, cela devient lassant. D’autant que ces gens rapportent souvent des opinions non des faits précis et que celles-ci se répètent de témoignage en témoignage. Ce livre me fait penser à ces documentaires télévisés (j’en parle avec d’autant plus d’aisance que j’y ai souvent participé !) où se succèdent des intervenants assis sur une chaise et égrenant des pensées faussement profondes. Logique pour le petit écran, moins logique pour un livre. En fait ce Toscan ! est l’œuvre d’un journaliste et non celle d’un écrivain. Tel est mon plus grand regret. Il y avait matière à dessiner une grande fresque, on se retrouve, ce qui n’est pas si mal, avec une montagne d’informations.


Je ne nie pas l’importance de cet ouvrage, je ne balaie pas le colossal travail effectué, je suis déçu d’avoir entre les mains un recueil de témoignages et d’extraits de presse et non un livre. Néanmoins, on y apprend beaucoup.

 

Philippe Durant


Jean-Marie Le Scouarnec, TOSCAN !, Séguier, janvier 2017, 458 pages, 22 euros

 

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