Joseph Campbell : La mythologie comme sentier

En France, nous avons pour références anthropologiques Mircea Eliade ou Claude Lévi-Strauss ; les anglo-saxons ont Joseph Campbell (1904-1987). Mythologie et épanouissement personnel, Les sentiers du bonheur, un recueil de conférences du mythologue américain Joseph Campbell, vient de paraître pour la première fois en français aux éditions Oxus, après trois autres ouvrages majeurs qui reprenaient les premières parutions chez Robert Laffont et en Folio. Avec Puissance du mythe, c'est le texte le plus accessible de ce professeur qui consacra sa vie à l'étude des mythologies du monde entier, afin de montrer leur impact dans nos sociétés.

 

Dans Les sentiers du bonheur, Joseph Campbell revient sur sa célèbre théorie développée en 1949 : Le Héros aux mille et un visages. Campbell avait montré qu'on retrouvait un même scénario, celui de la quête du héros, dans les mythes et les religions du monde entier. Désormais, il montre que ce scénario, il est possible de l'appliquer à notre vie, pour notre épanouissement personnel. Quelles furent ses influences ? En 1949, le russe Propp n'a jamais été traduit en anglais et ses fonctions du conte n'ont pas encore rencontré d'échos ; le schéma actanciel français de Greimas naîtra plus tard en 1966. Mais Campbell fut d'abord nourri par les études d'Adolf Bastian et James Frazer, par les psychologues Otto Rank et Carl Jung, et surtout par l'indianiste Henrich Zimmer. C'est donc sur la fonction psychologique et pédagogique de toute mythologie que Campbell insiste dès 1949, et dans cet ouvrage en particulier, il nous présente en détails la pensée de Jung, tout en élaborant un pont inédit entre ce dernier et Freud. Campbell estime que cette fonction psychologique du mythe reste majoritairement active dans nos sociétés contemporaines : elle nous aide à franchir les passages de l'enfance à la maturité, de l'âge adulte à la vieillesse, de la vie active à une vie riche de cette « intégration » prônée par Jung, c'est-à-dire l'équilibre recherché entre pouvoir et sexe, sentiment et intellect, sensibilité et intuition.

 

Mais revenons sur la quête du héros : selon Campbell, c'est un voyage initiatique en trois grandes étapes, qui a pour but de transformer notre vie et celle de la société, même à une toute petite échelle. Le héros (ou l'héroïne) se sent mal dans sa vie ordinaire, il reçoit un appel de l'aventure, il traverse de multiples épreuves pour trouver un élixir qui manque à sa vie. Enfin, il revient dans la vie ordinaire pour partager cet élixir avec les autres. Et ce voyage, c'est celui que nous réalisons lorsque nous nous lançons dans une histoire amoureuse, dans un projet professionnel ou même quand nous devons faire face à une catastrophe personnelle, ou que nous sommes entraînés malgré nous dans une situation difficile. A l'instar de Jung, Campbell préconise de trouver notre mythe personnel pour tracer notre chemin unique dans la forêt, en sortant des grandes avenues préparées par la société et les religions établies, même si la mythologie peut indiquer un sentier. On comprend le succès de ces analyses dans l'univers cinématographique. Pourtant, la vision de Campbell n'a jamais été destinée aux scénaristes à l'origine, mais aux chercheurs, avant de toucher finalement les artistes, le monde politique, les écologistes, puis le grand public.

 

Pour Joseph Campbell, le mythe n'en garde pas moins un versant métaphysique : c'est une métaphore des mystères de l'univers, ni vraie ni fausse, et ce mystère se découvre d'abord au fond de nous. Les mystiques tiennent alors une grande place dans sa pensée. En mettant de côté toute historicité, Campbell propose de voir toutes les religions comme des mythologies, y compris celle de notre culture, et non pas seulement celle du voisin... Métaphore devient synonyme de masque posé sur une même vérité inconnaissable, si bien que chaque société formerait un masque différent du divin selon ses préoccupations. S'il est certain qu'il existe des différences énormes entre les religions et mythologies du monde entier, Campbell s'intéresse volontairement aux similitudes, en comparatiste. Dieu montre mille et un visages différents : ce sont les masques de Dieu, disait Campbell.

 

Ce mythologue rêvait sans doute de mettre toutes les spiritualités d'accord, sans faire prédominer l'une ou l'autre, sans mettre en valeur un peuple plutôt qu'un autre. Il avait une très jolie formule ; il disait qu'en parvenant à voir au-delà des différences de symboles et de religions, comme au-delà des dualités inhérentes à ce monde, nous devenons « transparents à la transcendance ». Disons que Campbell était un sage, mais en précisant qu'il n'enseignait ni d'idéologie, ni de théologie. Le mythe pour lui, c'est une expérience de la vie comme un apprentissage de la compassion pour tous, ce qu'on nommerait sans doute aujourd'hui avec le terme d'empathie. Écoutons-le conclure : « Le voyage du héros est l'un des modèles universels (…) Je crois qu'une bonne vie est un enchaînement de voyages héroïques. Encore et encore, vous êtes appelé à rejoindre le royaume de l'aventure, à gagner de nouveaux horizons. À chaque fois se pose le même problème : Oserai-je ? Et si vous osez, les dangers seront là, ainsi que l'aide, et la réussite ou le fiasco. Un fiasco est toujours possible. Mais il y a aussi la possibilité du bonheur. »

 

Laureline Amanieux.

 

Joseph Campbell, Mythologie et épanouissement personnel, Les sentiers du bonheur, éditions OXUS, novembre 2011, 256 pages, 27,40 €

 

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