Tomas Tranströmer, "Baltiques - Œuvres complètes 1954-2004" : un Nobel moderne !

En recevant le prix Nobel de littérature 2011, Tomas Tranströmer donne au monde réel une place de choix. Car la voix du poète suédois est bien celle d’un homme de notre temps. Un homme dont les poèmes nous invitent dans son carnet de route. Voyages, séjours, détails du quotidien... Des poèmes sur la vie d’un homme normal. Un père de deux enfants. Qui conduit comme tout le monde. Qui a un travail comme tout le monde. Bref, une poésie du banal. Mais pas une poésie banale ! S’il écrit sur la fenêtre ouverte du premier étage. Ou sa nuit dans un motel. Ou encore la pluie qui tombe ; c’est qu’il a choisi d’explorer l’ordinaire. Mais tous ces instants cristallisés ne doivent pas déranger le lecteur. Ni l’effrayer. Au contraire, ce quotidien prosaïque et mouvant est source de joies. C’est la totalité des possibles. C’est le monde dans lequel nous vivons tous...

Cette poésie est donc un parti pris. Une fenêtre sur la complexité du monde. Une nature difficile. Un climat hostile. Mais de la difficulté à côtoyer cette nature naît un bonheur. Une présence forte...

Tomas Tranströmer plonge dans son siècle. Cet inconnu où le jardin des espèces a changé. Devenu ce palimpseste raturé dont nous parvenons à grand peine qu’à déchiffrer quelques infimes fragments. L’espace naturel est désormais brouillé. Adieu cycles identifiables. Bonjour signes de la modernité industrielle... Villes infinies. Foules innombrables. Ainsi, des pans entiers de la réalité apparaissent et la poésie s’en empare. Science et technique révèleront la fin des réticences.

Et Tranströmer déplacera les angles de vue. Ouvrira les portes à la réalité pour qu’elle dessine ses traces successives. Culture, superposition des âges, histoires entremêlées, mémoire vive... Ecrire alors comme l’on cartographie des étendues vierges de tout regard. Comme on agrandit l’espace des possibles. Comme l’on pénètre dans le grain le plus fin de l’existence...

Mais attention à ne pas tomber dans le réducteur facile. Tomas Tranströmer ne se voue pas à la banalité du monde contemporain. Il déplace sa ligne de fuite. Mise de la mire à la mort. Dénonçant l’ultra consommation. La violence gratuite. Tout en sachant être des leurs. Il se démarque néanmoins pour vivre cette expérience d’une manière différente. Celle qui nous découvre le caractère instable de la matière. Cet état dont la physique moderne nous a appris qu’il en était l’essence.
Alors, si Tranströmer est un poète moderne c’est qu’il a su donner à entendre certaines des intuitions les plus fondamentales de la science d’aujourd’hui... Cette incertitude qui pèse sur l’affirmation qu’il y a d’être. Même lorsque notre perception du monde semble nous prouver le contraire.

Lisons Tomas Tranströmer dans la célébration d’une poésie subtile. De l’art des interstices. Poésie qui n’a pas de fin. Sans pour autant verser dans l’infini. Poésie suspendue à ce qui vient. Avenir alors qui sera le lieu où tout pourrait recommencer. Dans la joie de la lecture...

Annabelle Hautecontre   

Tomas Tranströmer, Baltiques - Œuvres complètes 1954-2004, traduit du suédois et préfacé par Jacques Outin, avertissement de Kjell Espmark de l’Académie suédoise, Postface de Renaud Ego, Poésie/Gallimard, n°397, septembre 2004, 379 pages, 8,90 €    

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