Véronique Bergen : Crépax et la grande métaphore
Irréductibles à la sémiologie classique, étrangères à tout logos les héroïnes de Crepax deviennent – comme le prouve Véronique Bergen – celles de la recherche frénétique de soi, d’un soi multiple qui s’hyperbolise et ne s’arrête jamais, alimentée par l’amour d’un point de réel flamboyant
L'auteure rappelle que les signes formés par Crepax sont de deux sortes : il y a ce qui est reconnu comme existant dans le monde des hommes : un fouet, un chapeau, des fesses, une posture, une scène, et ce qui est reconnu comme persistant chez des héroïnes héritières d'Histoire d'O : un visage, un rictus, un vêtement, une mode.
Bergen souligne combien l’exploration graphique de l’érotisme chez Crepax est tout entière tendue par un souffle qui écarte le métaphorique, la médiation sémiologique. Les scènes de l'auteur proposent un exagération rhétorique de l’orgie et du corps.
Saturé de l’autre, des autres pour se vider de lui-même, ce corps peut s’abandonner à un maître, une maîtresse, une instance extérieure ou, à l’inverse, contraindre l’autre, le posséder, se lester des organes, des humeurs du ou des partenaires pour s’ancrer et ne pas s’envoler ou régler son plaisir sur la maîtrise active.
Tout joue ainsi sur une dynamique du vide et du plein, du concret et de l'abstrait dans l’effacement de la voix et la parole au profit d’une expérimentation tactile, de l’empire du toucher. D'où chez Crepax le raffinement dans les supplices, l'exubérance dans les mises en scène afin de faire jaillir les pulsions, casser tabous et interdits dans l’exercice de voluptés dont les officiants et les officiantes sont insatiables, pris dans un jeu du furet écrit Bergen.
L'objectif est de parvenir au réel d’une jouissance qui traverse le symbolique et l’imaginaire en une "sur en chair". Pour preuve écrit encore l'essayiste , Les passes de catins n’accouchent jamais d’une passe conclusive au sens où l’entend Lacan. Toutes les passes butent sur des impasses qui contraignent à perpétuer le cycle érotique.
Jean-Paul Gavard-Perret
Véronique Bergen, Guido Crepax, L'axiome d'éros, La Lettre Volée, Bruxelles, août 2023, 144 p.-, 18€
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