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Courir après la pluie, ou l’autre Russie

Il est amusant de noter que c’est en Russie que se trouve le fleuve Amour, et que ce sont les États-Unis qui ont utilisé par deux fois la bombe atomique ; mais dans l’inconscient collectif occidental, le méchant est russe et le gentil américain. Bien entendu, cette bipolarité politique pour simplet n’existe que… dans notre quotidien, harcelé de propagande pro OTAN et de mensonges éhontés ; sauf à savoir/vouloir lire l’information ailleurs ; à commencer par l’Allemagne et le fameux entretien d’Angela Merkel qui déchire le rideau de – petite – vertu derrière lequel se cache les desseins américains. Oui, les accords de Minsk étaient du vent pour gagner du temps. D’ailleurs ici aussi l’on commence à libérer la parole et certaines personnes disent haut et fort une autre histoire que celle véhiculée par les médias dominants depuis le mois de février, à commencer par Pierre De Gaulle, il y a quelques jours, et le presque millier de commentaires élogieux qui l’accompagnent laisserait à penser que les Français ne sont pas tous des oies blanches vouées à l’abattoir…  

Ainsi, cette Russie partie intégrante de l’Europe, de notre Europe, celle des peuples, des nations et des cultures – non celles du marketing, du village global et du digital débilitant –, cette Russie millénaire, éternelle, magique et si disparate, cette terre multiple qu’il faut bien plus d’un voyage pour tenter d’en aspirer, d’en deviner, d’en quérir quelques nuances, quelques saveurs, joies et peines, extases et hurlement d’effroi, émerveillement et peur ancillaire… Divine, magique, hypnotisante Russie que Magali Koening traversa en tous sens de 1988 à 2017, donc avant et après l’ère soviétique, partageant l’empire carcéral puis sa libération et sa mue vers une société moderne tout en conservant ses racines.  
Il s’évapore des photos de Magali Koening une atmosphère nostalgique, une émotion rarement rencontrée face à des clichés argentiques – ce sont plutôt les peintres qui excellent dans ces rendus éphémères – si bien que l’on frissonne, on ressent l’instant du clic, l’état d’esprit qui habitait le moment fatidique et l’on fusionne avec ce tout qui nous unie dans une même démarche à cette grâce offerte à nos yeux…

Il y a cet esprit slave qui surnage, ce décalage typique à l’Est que j’ai connu dans les vieux quartiers éloignés de Varsovie ou de Łódź, quand la végétation reprend ses droits entre les dalles du trottoir, en survolant la rue, en envahissant une usine en ruines, et malgré cela, en face, le plus moderne des bureaux ou d’un immeuble d’habitation impose son contraste. Les gens déambulent insouciants ou fatalistes, s’arrêtent le temps de contempler un horizon, un coucher de soleil, d’écouter le trille d’un oiseau… tous ces petits riens que nous oublions et qui, justement parce qu’ils ne sont rien, ponctuent magistralement la journée, ouvrant des fenêtres spirituelles, des parenthèses sensorielles à nos âmes brûlées d’actes inutiles à accomplir comme jadis feu le chien de Pavlov sans trop savoir ni pourquoi ni comment…
Astucieusement glissé sur de petits livrets enchâssés parmi les grandes photographies, les poèmes de Blaise Hofmann cisèlent le Grand Œuvre par la musique fluette et précise des mots justes qui finissent d’éclairer le parcours initiatique du lecteur en terre russe.

Un livre-monument, témoin du temps, du monde et de tous ces pauvres hères oubliés qui le peuplent et n’aspirent certainement pas à se faire la guerre tous les quatre matins, comme l’envisagent les malades mentaux qui nous gouvernent, tapis derrière le masque cynique de leur méchanceté dégénérée.   

François Xavier

Magali Koenig, Courir après la pluie, accompagné de poèmes de Blaise Hofmann, près de 300 photographies N&B et couleur, 220 x 290 mm, Actes Sud, octobre 2022, 312 p.-, 38€

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