Explorations de l’à peine perceptible avec Adriana Langer

Ou bien devrait-on dire : l’impalpable ? Le quasi invisible ? Le peu ? – Non, de fait, certainement pas le peu. Car ce qu’écrit Adriana Langer aborde parfois de grands sujets – la mort, la maladie, les relations amoureuses, le rêve – mais elle le fait de manière très particulière, comme si elle habitait dans un monde parallèle ou bien nous observait derrière une glace sans tain. Elle nous a déjà régalés avec trois recueils : Ne Respirez pas ; Oui et non ; Errances… ainsi qu’un roman assez court : Aude.
La première de ses nouvelles, "Le Gaz", est un chef-d’œuvre : une mère oublie de fermer le gaz et sa fille est soupçonnée de tentative de meurtre ! Mais alors plane le doute : la fille voulait-elle… ? Ou la mère désirait-elle que sa fille soit incriminée ? Même si les vingt-deux autres nouvelles de ce recueil sont plus courtes, elles s’avèrent tout aussi intenses.
Dans Géométrie, par exemple, un médecin qui ne sait pas trop comment avertir sa patiente décide de faire pour lui un bilan de santé… puis une sorte de bilan de sa vie, sous la forme de figures géométriques : Et il en va de même des vies en forme de cercle, doux ronronnements d’habitudes que rien, semble-t-il, ne peut perturber, dont la fluidité donne l’illusion de pouvoir éluder la fatalité du point. Tantôt lentes, elles s’engourdissent dans une réclusion craintive qui, croient-elles, les protège ; tantôt rapides, toupies enivrées d’elles-mêmes, que seuls le temps et l’épuisement parviendront à stopper.
Tous les brefs récits que tisse Adriana Langer sont marqués par cette finesse de la perception, et par une volonté obstinée d’approcher l’imperceptible, le non-dit ou le mal vu. Jamais elle n’écrase les bribes les plus humbles du réel : elle les évoque, et tout au plus elle les effleure.
Une petite fille se trouve très triste, à l’école, d’avoir vu partir sa maman :
- T’as vu le lion ?
Pascale se retourne, interloquée, et une lutte commence entre sa tristesse, à laquelle elle s’accroche, et l’envie de pouffer de rire. Quand même, qu’elle est drôle, sa maîtresse, un lion dans la cour !  
Ou encore, pour évoquer Le Retour du Fils prodigue de Rembrandt :
Agenouillé devant son père, le fils semble déposer sa vie en lieu sûr, enfin.
Lorsque l’on commence de lire une des nouvelles d’Adriana Langer, on attend qu’apparaisse un léger coup de pinceau, ou que surgisse la vive coupure du scalpel.

Bertrand du Chambon

Adriana Langer, Le Gaz et autres nouvelles, David Reinharc Éditions, février 2024, 144 p.-, 20€

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