Migrant, juif et militant : une jeunesse, avec Benjamin Stora

Surmonter ses appréhensions ou ses déplaisirs, telle fut ma motivation lorsque j’acquis en librairie le livre de Benjamin Stora. En effet, je déteste les historiens ; je les exècre ; leur jargon et leurs prétentions me sortent par les yeux. C’était donc avec l’objectif inavouable de démolir cet ouvrage que je pris l’autobiographie de M. Stora. Quel ne fut pas mon désarroi ! Le livre se lisait comme un roman, était clair et bien écrit. Je n’allais certes pas en dire du bien, à moins que… ?
Et je lus : Les Juifs y vivaient depuis des millénaires, depuis que les Phéniciens et les Hébreux, lancés dans le commerce maritime, avaient participé à la fondation d’Annaba, de Tipaza, de Cherchell, d’Alger. J’en fus content : ces jours-ci, entendre des vérités sur les Juifs est un bonheur, et il se trouve que je suis philosémite. Mes meilleurs amis ont été un éditeur juif, un compositeur juif et un anthropologue arabe et soufi. J’ai donc dévoré ce récit de départ, de fuite presque, cette errance ayant affligé des personnes qui se savaient Juifs pieds-noirs, et qui en arrivant en France se posèrent cette simple question : Étions-nous des réfugiés, nous aussi ?
Nous le sommes. Non seulement les Juifs venus d’Algérie, tout comme les Arabes venus avant et après, mais encore nous tous, nous les humains, sommes des réfugiés. Nous sommes des migrants. C’est pourquoi nous avons tort de fermer les yeux sur ce qui se passe en Méditerranée aujourd’hui. Bien. Revenons à Benjamin Stora.
Par une mauvaise plaisanterie de l’histoire, voilà notre jeune homme, encore tout pétri de Talmud, qui tombe au lycée Janson de Sailly parce que son papa s’est fait prêter un galetas dans le XVIe arrondissement, où lui, sa sœur et sa mère se pèlent de froid. Le voici confronté au racisme et à l’idiotie des gosses de riches qui lui demandent : Tu n’es pas Juif, au moins ?
Heureusement, il se retrouve deux ans après en HLM à Sartrouville, là où il pourra ressentir la solidarité entre les pauvres, faire pétarader une mobylette ou écouter Johnny. Peu à peu, avide de longues études – la voie royale de l’insertion – il va devenir un jeune historien, formé dans notre belle université de Paris X Nanterre (où je fus, en lettres, son lointain condisciple). Vinrent les années de militantisme, de rébellion, de trotskysme, mais aussi de bons conseils de René Rémond mélangés à l’effervescence des idées révolutionnaires.
Benjamin Stora reste assez discret sur ses années de militantisme à l’AJS-OCI, et nous ne lirons pas de confidences graveleuses sur Jean-Christophe Cambadélis ni sur P'tit Louis. Mais la très belle mise en perspective de cette époque et aussi la réflexion d’un historien sur l’histoire en train de se faire vaut le détour.
Les photos charmantes de sa famille – sa maman déguisée avec une amie, ou encore les quatre visages qu’il nous montre page 216, nous donneraient presque envie de suivre la célèbre phrase de Jean-Luc Godard : Puisse chacun être son propre historien ! 
Et donc, en fin de compte, j’aurai été obligé de dire du bien de cette confession admirable…

Bertrand du Chambon

Benjamin Stora, L’Arrivée. De Constantine à Paris, 1962-1972, Tallandier, septembre 2023, 229 p.-, 19,90 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.