Paris, c'est foutu ! : le coup de gueule d'Alain Paucard

Coup de gueule et coup de coeur. Cri de rage et chant d'amour. L'avers et le revers d'une seule médaille. Rage contre ceux qui ont défiguré Paris, qui persévèrent dans leur diabolique entreprise. Amour pour une ville qui l'a vu naître. Pour son histoire et sa beauté, son parler et son accent. Tout ce qui révèle une âme désormais perdue. Irrémédiablement. Telle est, du moins, la conviction d'Alain Paucard.

 

Celui-ci n'est jamais meilleur que dans ses fulminations. Rien de surprenant de la part du fondateur et Président (à vie) du fameux Club des Ronchons. On se souvient de ses Criminels du béton (Les Belles Lettres), de son Manuel de résistance à l'art contemporain (Jean-Cyrille Godefroy). Qu'on attente à son sens esthétique et le voilà furieux. Qu'on touche à ce qu'il aime et il sort de ses gonds. L'imposture, le mauvais goût, la prétention, la dictature de la laideur le plongent dans la transe. Son indignation, il la traduit en livres coruscants, d'une féroce drôlerie.  

 

Quant à Paris, qu'il ne quitte jamais - un principe, chez lui - mais qu'il connaît dans le moindre recoin de ses moindres ruelles, c'est un thème récurrent d'inspiration. En témoignent, outre le Guide Paucard des filles de Paris (Pauvert / Garnier), Le Roman de Paris (Le Rocher), Paris la ballade (L'Âge d'Homme), Paris, ses rues, ses chansons, ses poèmes, préfacé par Jean Dutourd (Editions Molière), entre autres où, même si le nom de sa ville natale n'apparaît pas dans le titre, celle-ci joue un rôle qui excède largement celui d'un simple décor.

 

Nous voici donc parcourant à sa suite les sites parisiens saccagés par des architectes dénués de sens esthétique, voire de bon sens tout court, des édiles ignares, des profiteurs de tout poil. Il dresse la liste de ce triste inventaire, arrondissement par arrondissement. Avec une minutie qui va jusqu'à préciser la superficie de chacun. Sans parler du nom des rues, actuel et ancien. Des événements qui s'y sont déroulés. Des immeubles et monuments qui ont fait les frais de la frénésie bétonnière après avoir abrité des célébrités. Mieux encore, il nous entraîne extra muros, jusque dans les banlieues, de Boulogne à Vitry-sur-Seine en passant par Fontenay-aux-Roses ou Issy-les-Moulineaux, où le même processus est déjà engagé.

 

Une telle promenade a de quoi laisser pantois. D'abord parce que l'érudition historique de l'auteur est impressionnante. Il a tout lu concernant Paris, les historiens, certes, grands et petits, mais aussi les mémorialistes, les romanciers et les poètes, jusqu'aux chansonniers qui ont, au cours des siècles, célébré la Ville lumière. Sans compter les souvenirs personnels et les anecdotes qui en découlent. Il y baguenaude, à la manière d'un moderne Léon-Paul Fargue, au gré de sa fantaisie, parfois guidé par le souvenir d'une conquête amoureuse, dénonçant au passage les fausses légendes encore colportées par les manuels scolaires (ainsi le percement des artères haussmanniennes prétendument dicté par la crainte des insurrections).

 

Ce faisant, il pointe du doigt les responsables de la décadence de la capitale. Sa plume, alors, se fait rageuse, son réquisitoire précis et circonstancié. Il appelle un chat un chat et Delanoë "Sa Suffisance". Bref, les amateurs de pamphlets y trouveront leur compte. Ils ne seront pas surpris, pour peu qu'ils aient déjà quelque connaissance de son oeuvre, des propos très politiquement incorrects de cet iconoclaste qui se soucie comme d'une guigne de l'opinion publique. Sauf, évidemment, pour la prendre à rebours.

 

Mais il y a plus. Sous l'indignation du polémiste, affleure la tendresse d'un amoureux, et pas seulement des femmes (lesquelles occupent pourtant dans son univers une place éminente), mais du peuple de Paris, de ses traditions, de ce qui fait son caractère unique. Tout Paucard, "Paucard de Paris", comme il aime à se présenter, la postface de Jean Dutourd le rappelle,  se trouve dans ce livre. Avec ses dilections, ses détestations et ses enthousiasmes. C'est assez dire sa richesse.

 

Jacques Aboucaya

 

Paris, c'est foutu ! d'Alain Paucard, éditions Jean-Cyrille Godefroy, septembre 2013, 186 p., 15 €

2 commentaires

anonymous

excellent! vive Alain!


anonymous

excellent! vive Alain!