Alexandre Soljenitsyne, La Confiture d’abricots et autres récits : Un immense talent

On n’a guère beaucoup parlé de ce livre, paru vers le milieu de l’autre année. Le succès d’un ouvrage doit, en effet, désormais plus à cette brume polluante qu’on appelle « l’air du temps » qu’à ses mérites propres et le plaisir de lire n’y change pas grand-chose. Le nom de Soljenitsyne appartient à une ère dont la nostalgie serait déplacée, et si l’on publiait aujourd’hui un chef-d’œuvre de Graham Greene ou de François Mauriac, il y a fort à parier qu’il n’obtiendrait qu’un succès de curiosité. Ces neuf récits méritent pourtant mieux ; ils portent tous l’empreinte de l’immense talent d’Alexandre Soljenitsyne.

 

« La langue d’une œuvre, mais c’est tout, purement et simplement ! » déclare l’Écrivain venu rendre visite au professeur Kiprianovitch dans sa datcha. Il est vrai que la déclaration est paradoxale, car cet écrivain est, dans la première nouvelle, celle qui donne son nom au recueil,  un cuistre stalinien ; et ce populiste est, un comble, un formaliste. Dans la première partie de la même nouvelle, c’est un bien autre aspect du monde que recrée le talent de Soljenitsyne, ou bien est-ce sa mémoire : celui des goulags. Les autres récits seront ainsi composés, comme des prismes, avec deux facettes de la réalité.

 

On ne peut les raconter. L’un des plus réussis est le dernier, c’est égal, qui décrit une scène lamentable de la guerre causée par un vol de patates « bien de l’État », et un épisode de l’imbécillité administrative du même État, qui va noyer un million et demi de kilomètres carrés et des ressources minières inappréciables sous un barrage mégalomaniaque.

 

Ainsi Soljenitsyne parachève-t-il son autoportrait littéraire : son unique objet d’intérêt est la nature humaine. Il ne l’idéalise ni ne la méprise, il la regarde, et les neuf nouvelles que voilà en présentent autant de nuances, fatuité, compassion, faiblesse, haine froide, misère, et oui, inhumanité, telles que la longue transe de la folie stalinienne les façonna.

 

Ce n’est pas le plus grand livre de l’écrivain, mais c’est un vrai livre.

 

Gerald Messadié

 

Alexandre Soljenitsyne, La Confiture d’abricots et autres récits, Fayard, août 2012, 410 pages, 22 €

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