Andreï Makine (1957) est un écrivain d'origine russe de langue française. Prix Goncourt 1995, prix Goncourt des lycéens et prix Médicis pour Le Testament français

Andreï Makine, Cette France qu’on oublie d’aimer

En pleine déferlante de la francophonie, Andreï Makine surfe à contre-courant avec un recueil qui a tout d’un fragile esquif mais qui se révèle aussi percutant qu’un torpilleur paru chez Flammarion dans la collection Café Voltaire. Il est vrai que l’auteur, né à Krasnoïarsk en Sibérie, n’en fait pas un mystère, loin s’en faut : il ne se veut pas francophone mais Français. « Je n’écrirais pas ce livre si je ne croyais pas profondément à la vitalité de la France, à son avenir, à la capacité des Français de dire “Assez !” »
Au long des cent onze pages d’un pamphlet d’une écriture doucement violente, tendre et persuasive parfois, Makine nous décrit cette France que l’on aimerait oublier où les vieillards sont sauvagement tabassés à mort, les femmes poignardées sous les yeux de leurs jeunes enfants et les filles brûlées près de chez elles, non pas par un ennemi qu’il faudrait repousser loin au-delà des frontières, mais par des Français mécontents de leur vie, incapables de la changer, qui pensent trouver la solution de leurs problèmes dans la mort et le sang versé de l’autre. Et Makine ne serait pas Makine si la Russie ne surgissait au coin des banlieues que les intellectuels du XVIème arrondissement, malgré toute leur bonne volonté, ne pourront jamais saisir. Dostoievsky, Tolstoï, Trostky, Ivan le Terrible viennent au secours de Corneille, Voltaire, Diderot, Camus et François Ier pour sauver cette France en péril, submergée par l’incompréhension réciproque de ses habitants dans un cataclysme qui, tout compte fait, n’a rien de révolutionnaire, mais où seule règne la terreur exercée par quelques déboussolés sur la raison nationale. Un livre, en fait, qui apporte son tribut à l’édifice des valeurs menaçant de s’écrouler. Il est grand temps de pouvoir regarder « le Ciel sans blêmir et la Terre sans rougir » et « Si vous n’êtes pas Français soyez dignes de l’être » intime Makine car « ceux qui brûlent les écoles, qu’ont-ils pu apprendre de leurs professeurs sur la beauté, la force et la richesse de la francité. » En effet, on se le demande.


Murielle Lucie Clément


Andreï Makine, Cette France qu’on oublie d’aimer, Flammarion, 2006, Points, février 2010, 96 pages, 5 €

Aucun commentaire pour ce contenu.