Les jeûnes d'Anton Beraber

Dans cette fiction nous assistons à un certain désalignement des planètes entre les dogmes religieux et la nature humaine. Un imaginaire particulier peut rejoindre aisément le collectif mais de manière ironique et non sans symboles jusque dans la géographie du roman.
Le narrateur est plein d'ambition. Parlant de la religion, son principe premier est le suivant : Me fondant sur des baromètres trompeurs j’avais imaginé pour ma fille un monde débarrassé de ces excentricités-là comme on parvint de le faire pour le géocentrisme ou la variole. Mais cela reste une vue de l'esprit d'autant que cet aspirant à l'athéisme est beaucoup plus fasciné qu'il estime probable que par les choses de la foi et l’énigme de croire.

Le voici en conséquence fort démuni et ce dès la sortie de l’aéroport et dans la congestion générale de la porte de l’Est où les taxis au point mort font tourner le compteur avec une pointe de Bic : les religions, aurais-je dû protester, ne suscitaient mon intérêt que dans leurs dysfonctionnements.
La crise de foi rejoint ainsi une déambulation urbaine et ce en "un moment particulier où la fatigue du jeûne en révèle les points d’usure". Le livre est donc moins iconoclaste qu'il ne paraît sinon par l'ironie qui le porte. Néanmoins le narrateur - victime de sa tendre ou de sa lucidité - ne ferme aucune porte face à l'hymen problématique entre l'homme et ses croyances.
Celui qui imaginait la délivrance et la séparation ne peut contrarier la pérennité d'une dynamique métaphysique mais aussi physique (eu égard au jeûne) omniprésente dans le livre. Elle permet de rejeter toute pensée qui enferme, retient. 

S'inventent au fil du roman  une autre impulsion, une autre direction à la pensée que la première impression semble donner. Si bien que la fiction devient comparable à une sarabande pleine d’inattendus avec des enchaînements que le lecteur doit découvrir là où le corps en ses désirs semble marcher  en avant de lui-même. L'auteur par son écriture éclaboussante retire l’écume des vérités tous azimuts comme on retirait jadis la peau sur le lait. Et cette fiction "répond" parfaitement à l'époque que nous vivons.


Jean-Paul Gavard-Perret


Anton Beraber, Signes d’un fléchissement à la troisième semaine du Jeûne, Coll. Blanche, Gallimard, avril 2021, 176 p.-, 16 €
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