Les glaciations de Mei-Tsen Chen


 

Moins que retenir la fixité de l'être la photographe de Mei-Tsen Chen s'intéresse  à son "passage". Par ses mises en scène et  en « boîte » l’oeuvre inquiète la vision par un système d'ensevelissement  et de révélation. A la manière du géologue qui découvre dans les couches minérales des empreintes, les strates successives de résine permettent à l'artiste d'offrir l’image du corps humain entier ou fragmenté à travers les séries "fossiles en deuxième état" et "plis". Il s'agissait d'abord pour la photographe de créer une sorte d'archive personnelle. Peu à peu le travail s'est mis en marche comme à son insu. Les photographies ne font plus étalage d'un souvenir, elles ne se vouent pas au culte de la commémoration : elles représentent une autre forme de traces au sein de diffractions.

 

Les corps humains sont souvent repliés sur eux-mêmes, recroquevillés sur leurs propres chairs, pris au piège du verre et du végétal, figés dans la résine. Mais l’oeuvre passe aussi de l'organique au cosmos et Mei-Tsen Chen précise comment se constitue en amont l'archéologie de son œuvre : "Différentes formes du sentiment d’exister peuplent le no man’s land de ma mémoire. Si je tente de les répertorier, de les classer, ce n’est pas par souci chronologique, mais selon un ordre affectif ou émotionnel".  C’est aussi une manière de pousser la vérité  dans l'immobilité des gisants en des plis où Éros rode mais où Thanatos n'est jamais loin. Par un travail d'incarnation et de désincarnation la photographique passe de ces glaciations habituelles vers une autre. Elle arrache à la prétendue légèreté de l'être comme à l’effet de réalité de la photographie pour proposer un univers trouble parfois glauque et parfois lumineux au sein d’une émotion troublante. 

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Sur le même thème

1 commentaire

mercii pour cette article