Valérie Mréjen : passages des seuils ou la suprême émotion

Vidéaste, plasticienne, romancière Valérie Mréjen explore les multiples possibilités du langage iconographique en s'insérant le plus profondément possible dans les territoires qu'elle investit. Pas question pour elle de ne faire que passer. .Depuis  la série "L'Appartement de mon grand-père" puis avec  « L'Agrume » elle renouvelle le récit autobiographique par des histoires courtes et familières puisées dans le réel et dans son quotidien. Souvent cruelle et drôle la plasticienne met à nu dans ses vidéos le vide. Dans « Sketch » par exemple elle fait défiler tous les stéréotypes du langage amoureux. Ses courts métrages imposent des histoires selon divers processus de distanciation pour prendre par revers les illusions du réel.

 

Lorsqu'en 2002, une galerie de Tel-Aviv la contacte pour lui proposer une exposition elle en profite pour passer du temps sur place et d’y élaborer un projet lié au pays. Ayant discuté quelques jours avec une amie ayant vécu six ans en Israël et évoqué les religieux, leur façon de s’habiller, leur vie organisée, leur attitude fermée et rigoriste elle décida de s'intéresser à aux. L'artiste est frappée par les hommes habillés en noir, les  garçonnets aux crânes rasés avec de longues mèches sur les tempes, les mères aux regards indifférents et aux perruques invariablement coiffées en brushing, les fillettes portant des collants opaques sous les robes de leurs sœurs aînées. Et l'artiste de préciser : "Dans le bus ou aux arrêts, un religieux ne viendrait jamais s’asseoir à côté d’une femme. Si une femme s’installait sur sa banquette, il se déplacerait aussitôt pour aller à côté d’un homme. Il ne daignerait pas adresser la parole à un non-pratiquant, se laisserait encore moins aborder par un goy". Les enfants religieux suscitent chez l'artiste de la peine. Estomaquée de les voir  marcher en rangs à côté de leurs mères derrière une poussette, toujours sages et disciplinés, n’ayant pas l’air d’avoir été jamais joueurs ou turbulents, elle essaye  de se mettre à leur place et se demande ce qu'elle aurait fait si elle était née de parents orthodoxes. Une seule réponse (sous forme de question) lui vint à l'esprit : «comment aurais-je fait pour m’en échapper ?". Et c'est par ce biais qu'elle décida de faire un film sur les anciens religieux devenus laïques :  « Pork and Milk ».

 

Passant les check-points et avant un retour pour un projet en France elle s'est installé dans un village palestinien où les femmes se refusaient à être photographiées. Valérie Mréjen leur a donné le moyen de devenir photographe. S'en est suivi tout un travail à plusieurs mains et regards propres une nouvelle fois à transgresser bien des interdits politiques et religieux. Implicitement ce travail souligne qu'entrer en religion n'impose pas forcément un enfermement si la femme résiste aux aprioris.  Valérie Mréjen n'est donc en rien une simple une enregistreuse d'images. Elle reste une artiste engagée. Dans ses images la froideur côtoie systématiquement une incursion viscérale dans l'intime. Les couleurs, tranchées, lumineuses, épinglent la parole comme les papillons d'un entomologiste ou les feuilles séchées d'un herbier. Ses « confessions » personnelles ou collectives  ne sont jamais dénuées de culpabilité, et c'est bien là tout le paradoxe de son œuvre. Alors que l'on s'attend à l'annonce d'une victoire sur soi-même, aucune de ses séries n'est ressentie comme libératrice, ni entendue comme une révélation. Simplement toute forme d'orthodoxie y est considérée comme un leurre. C’est pourquoi l’artiste continue la quête de l’identité là où souvent cette dernière se trouve altérée.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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2 commentaires

Bonjour, 


Où peut-on acheter les cds des courts-métrages?

"Pork and Milk" publié chez Allia. Et voir le site de l'artiste.