Alfred de Musset, le théâtre comme miroir social

« L’homme est un apprenti, la douleur est son maitre et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert ». Phrase connue, une des plus célèbres de Musset, tant de fois reprise comme un aphorisme devenu d’usage commun, ou mieux un proverbe, terme qui lui revient de droit. Derrière sa simplicité se tient une vérité foncière comme si souvent avec lui. Musset, poète et dramaturge, a un don inné pour dire l’essentiel de la vie avec des mots ordinaires et montrer que rien n’est jamais acquis, que rien n’est jamais perdu, que la tristesse a pour contrepoids la joie, que l’une a besoin de l’autre pour gagner son sens comme l’ombre ne prend forme que grâce à la lumière.

C’est avec des couleurs que l’auteur de ce petit livre dense termine son étude, en se référant au meuble de la baronne de Mantes, les couleurs données généralement à la vie. Entre « le noir des peurs et des peines» et « le vert de l’espérance » s’insère « le rose du romantisme et de l’éternelle jeunesse ». Alfred de Musset est de son siècle et cependant il s’en échappe, il en est l’enfant malgré lui mais il est trop indépendant pour se conformer à la pensée qui domine alors. Il s’adresse par-dessus son époque à toutes les autres, y compris la nôtre. Sans doute est-ce pour cela que lire ou relire ses pièces renvoie chacun à lui-même et son expérience. L’homme qui souffre n’appartient à aucune période particulière, la douleur commande à quiconque.

La société est le champ de travail de Musset (1810-1857) et le territoire de son regard. On le connaît bien comme poète, moins comme homme de théâtre. Il a écrit pourtant des chefs-d’œuvre qui ont remis en cause les règles en vigueur héritées du classicisme. « Je n’ai plus de système et j’aime mieux mes aises ». Cela lui permet d’aborder des sujets qui n’auraient pu l’être lorsque la censure régnait. En composant des titres qui ne s’oublient pas, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, On ne badine pas avec l’amour, A quoi rêvent les jeunes filles, Les caprices de Marianne….Sur le ton de l’humour en plus. « Je ne fais pas grand cas pour moi de la critique. Toute mouche qu’elle est, c’est rare qu’elle pique. »

Cette volonté d’indépendance, qui se traduit par ces autres mots fameux « Mon verre n’est pas grand mais je bois dans mon verre », Musset la reconnaît tout autant chez les autres et il n’entend donc pas imposer des leçons. La comédie sous des dehors aimables lui sert à faire passer des messages comme on dirait maintenant. En douceur. Surtout sur des thèmes qu’il affectionne et qui, là encore, demeurent par-dessus la durée, comme les femmes et l’amour. L’auteur estime qu’« une véritable phénoménologie du cœur nourrit » le théâtre de Musset. Sa modernité nous le rend proche, sa sincérité nous touche. De ce héros romantique, lucide et passionné, nous partageons les élans et les désenchantements. Sylvain Ledda, enseignant, metteur en scène, est spécialiste du théâtre de Musset. Il en analyse ici les infinies nuances et l’esthétique particulière, apportant des éclairages qui permettent d’en redécouvrir la qualité et la valeur.

Dominique Vergnon

Sylvain Ledda, Alfred de Musset, collection Le Théâtre de ****, éditions Ides et Calendes, octobre 2017, 128 pages, 10 €

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