Henri Cartier-Bresson. Une évocation

HCB Bonne

Le cœur, le cerveau et l'appareil : pour être bon photographe, sinon excellent, il faut dans un même temps ajuster ces trois éléments sur une même ligne de mire ; et c'est seulement lorsqu'on y est arrivé qu'on peut, en toute confiance, se servir alors tout bêtement de son index pour appuyer sur le bouton.
Par contre, tout doit se passer très vite, comme en un moment d'absence et à la vitesse de la lumière !

Ce que je viens d'écrire là, il me semble tout à coup l'avoir, en fait, piqué directement à Henri Cartier-Bresson lui-même, par l'écoute attentive de l'une ou l'autre de ses interviews. Si c'est le cas, d'où il est aujourd'hui, qu'il me pardonne, m'en excuse. C'est que sa déclaration m'avait, en son temps, tout simplement assez marqué l'esprit pour qu'elle s'y imprime, preuve peut-être bien de mon adhésion  spontanée à sa pérennité en la matière.
Il faut dire que tout au long de son œuvre, l'art consommé d'Henri Cartier-Bresson tient fortement de celui du reporter qu'il a été, n'ayant pas eu souvent du temps de reste pour photographier dans des situations à risques multiples et parfois pas des moindres. C'est pourquoi, sans doute, même flâneur dans la foule parisienne, par exemple, ou bien solitaire par les petits sentiers et chemins de campagne autour de Montjustin où il venait en vacances puis choisit d'y finir ses jours, celui que Pierre Assouline, son biographe, appela à jamais l'œil du siècle saisissait très rapidement l'instant présent unique, le faisant sien à la volée, tirant – en quelque sorte lui aussi – plus vite que son ombre, tout en lui imprimant pour toujours un sceau très personnel. Sa grande pratique et un métier exigeant parfaitement au point, maîtrisé, efficace, lui permettait de s'exécuter à chaque fois sans coup férir, au coup de cœur, en virtuose !

Je l'ai vu - tic significatif intense - clignant de l'œil sans cesse (droit ou gauche, je ne sais plus), pourtant alors sans appareil, comme si en un perpétuel réflexe, non natif, mais professionnel, il gardait l'œil quasiment toujours en alerte et rivé en perpétuelle intermittence à l'objectif, pour le cas où. Cette sorte de déformation professionnelle acquise trahissait bien évidemment sa façon toute personnelle d'avoir saisi, tant de fois durant sa vie, en des milliers de clichés originaux, ce qu'il aimait fort justement appeler l'instant décisif : l'espace et le temps de ce battement de cils.
C'est en ce sens que, en tout bien tout honneur, en toute honnêteté, il aurait pu faire sien aussi le mot fameux de Picasso, son ami : Je ne cherche pas, je trouve.Dans le seul et unique portrait qu'il fit, à Montjustin, du peintre Serge Fiorio, c'est d'abord l'homme qu'il met en avant, chez lui, de trois quarts, conversant dans une attitude familière, accessible et heureux visiblement, le visage exposé en pleine lumière et rayonnant, en miroir, une joie toute communicative.

Les deux mains, elles, situées au tout premier plan, sont jointes en concorde et bien visibles, dans une position très caractéristique de la façon de les tenir qu'adoptait souvent Serge en signe comportemental de tacite complicité avec certaines de ses proches relations ou autres interlocuteurs de tout bords. Mais, par-delà l'ami – dont fait foi la dédicace manuscrite à l'encre de Chine dans la marge de droite –, en toile de fond fort suggestive, on reconnaît, accroché au mur, dans un demi flou, l'émouvant bien qu'austère Portrait de mes grands parents qui est à la fois pièce maîtresse et icône entre toutes majeure de sa peinture de haute époque. Cela, tandis que, de front et dans son mouvement bien rythmé par les marches, la montée d'escaliers invite subliminalement à traverser la scène pour se diriger vers le minuscule atelier situé sous les toits, à l'étage.
Serge Fiorio gagne encore à être connu en tant qu'artiste peintre ! semble ainsi nous dire HCB qui, seul ou avec des amis, y monta souvent le voir peindre.

André Lombard

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