Alexandra Navratil : de l’icône à l’image (et retour) ou la lame de fond des images

Alexandra Navratil remet en cause à la fameuse formule "lecture de l'image". L'expression en elle-même génère selon elle (et à juste titre) une impossibilité,  une sorte de contresens. Lire revient à nommer donc à reporter  l'image en un champ qui n'est pas le sien. Elle est donc désamorcée, la dénaturalisée. On veut donc la l'exorciser (c’est d’ailleurs le vieux rêve des religions monothéistes).  Dès lors pour la créatrice il ne s’agit pas de désimager l'image mais, au contraire, de renverser le problème et de voir son « texte" pour comprendre le processus de lecture  de l'image.

 

Dès le XXe siècle d'ailleurs Hugues Saint Victor dans son Didascalicon nous y invitait en parlant de la page du parchemin comme d'un miroir, d'un "vitrail" à contempler : il fallait selon lui s'exposer à la lumière de la page (ce qui renvoie bien sûr à un type de lecture que l'on a perdu mais qui nous renvoie aussi à de nouvelles modalités de lecture offertes par la cyber culture). Plus près de nous, Blanchot, dans le Chapitre IV de Thomas l'Obscur invite à une même approche. Définissant la lecture d'une page par son héros, le narrateur affirme que, soudain, les mots deviennent des "yeux" qui regardent le personnage imbibé, fasciné par les signes-séducteurs eux-mêmes.

 


Alexandra Navratil pousse un peu plus loin ces avancées au moment d’ailleurs la révolution numérique brouille les cartes. Avec l'écran de l'ordinateur, le mot  devient image. C'est pourquoi lire un texte n'est-ce pas un rappel de l'expérience  précisée par Hugues de Saint Victor et reprise par Blanchot? N'est-ce pas là un retour à la source de ce que l'imprimerie avait  uniformisé, mécanisé, stéréotypé ? L'écran (ni forcément du savoir on forcément du désir) nous aura ainsi remis devant cet (in)accomplissement. Il rappelle à notre souvenir que l'image n'est, pas plus que le texte, un objet mais un processus dynamique qu’Alexandra Navratil ne cesse de démultiplier.

 

En épuisant l'image elle épuise le langage et vice versa. Parfois jusqu’au "fondu dans la lumière du soir" cher à Beckett dans ses deux dernières pièces télévisuelles. Chez lui comme chez la jeune artiste,  des images ne restent toujours que des traces : ce sont elles qui font rêver dans leur enneigement crépusculaire, dans leur engagement corpusculaire. L'image n'est donc pas forcément une "ponctuation de déhiscence" dont parlait Deleuze elle peut parfois surmonter l'infériorité des mots, elle peut devenir une lame de fond propre à l'art.  Mais comme lame de ce type : elle ne se voit pas forcément et ne fait pas d’écume.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


« This Formless Thing », Roma Publication, Amsterdam

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3 commentaires

"déhiscence" ????????

Loool!  merci Loïc.