Les paroles enracinées d'Isabelle Vialle

Symbole archétypal de vie, l’arbre et surtout l’olivier, se dévoile sur la toile d’Isabelle Vialle, autour de la thématique qui construit désormais son univers pictural. Fidèle à toutes les caractéristiques techniques qui n’ont jamais cessé de régir l’ensemble de son œuvre, comme son écriture gestuelle intense, sa persistance monochromatique qui créé un jeu d'opacité et de transparence, ainsi que ses figures polymorphiques, qui même si à première vue fonctionnent comme le noyau de l’image, se déploient de façon inattendue, comme des faisceaux lumineux qui surgissent du centre pour envahir le reste de la toile et former ainsi la composition, avec ce thème l’artiste suggère des corrélations symboliques tout en l’investissant d’une sensation onirique.
Ayant comme point de départ sa pérégrination dans le lieu qu’il l’a accueilli il y a un an, dans sa propre "terra incognita", Isabelle Vialle perçoit avec une intuition purement artistique le paysage grec et spécialement les champs des oliviers, elle conçoit les images et les sons de la nature qu’elle regroupe en instantanés photographiques avec une sensibilité féminine, avec son langage poétique compose une série de métamorphoses comme un symbole sacré. Des troncs, des arbres, multiples et presque en relief, des formes massives volumineuses et noueuses avec des ramifications dépourvues de tout feuillage et des dédales complexes de racines se dévoilent sous les yeux du spectateur, privés de leur environnement naturel, comme s’ils étaient suspendus sur la toile ou le papier, émergent presque d’un temps primitif. Et ils subissent une mutation sous le regard du spectateur. Sans cesse. Parfois, ils sont dotés de mouvements rythmiques, oscillants, vibrants, palpitants, dansants, érotiques, parfois ils sont dotés de voix, et hurlent, chantent, parlent, chuchotent, disputent, portés par leurs caractéristiques morphologiques humaines ou animales, souvent sexués. En d’autres mots, l’artiste loin de tout effort d’assujettir sur la toile son objet, offre des essences de vie à la chair, donne du souffle, et donc de l’âme à la matière, en la constituant en sujet vivant, agissant, et en même temps un repère absolu de sa sémiologie personnelle.
Et c’est exactement cette matière vivante mise en scène qui fait abolir toute notion conventionnelle de temps et d’espace, alors que tout effort de leur concrétisation logique est impossible sur le niveau synchronique. Car, l’espace-temps de l’univers pictural de l’artiste, dans le sens bakhtinien du terme, semble être palpitant, se contractant et se dilatant sans cesse. Il se libère des contraintes stériles "d’ici et maintenant" et prend sens seulement à travers la voix, à travers l’âme des arbres. 
Et si, comme le dit Gaston Bachelard, « la poésie [au sens de la création ex nihilo du terme] est une âme inaugurant une forme », tout nœud séculaire du tronc, constitue à la fois la trace du temps ineffaçable, inhérent à lui, la cicatrice d’un corps, chargé du poids de la mémoire et de l’émotion, de la perte et de la douleur, de la mort et de la renaissance. Tout aboutissement de son propre rhizome devient la substance qui le rend phototropique, et donc accueillant à la lumière, et connecte indissolublement la terre-matrice au ciel-récepteur, la matière à l’esprit, le passé à l’avenir, les ténèbres à la lumière. Enfin, la mort à la vie. 
Sans aucun doute, les troncs-corps d’Isabelle Vialle surgissent à la surface comme une cosmogonie, en énonçant des paroles enracinées, dans un espace-temps universel et donc diachronique, « où rien n’est tout à fait mort, [mais où] tout sens aura son retour festif ». Dans celui des champs des oliviers éternels.

Domna Chanoumidou - Critique d'art

Isabelle Vialle, "Paroles Enracinées", Photographie-Dessin-Peinture, Institut Français de Thessalonique, avec le soutien du Musée de la Photographie de Thessalonique, Thessalonique - Grèce, 11 Septembre-2 Octobre 2014.

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