le maître film barroque de Terry Gilliam, Brazil

"Ne soupçonnez pas un ami : dénoncez-le !"

Buttle / Tuttle. Une lettre qui va tout changer, un petit bug au sens littéral du terme (une mouche venue s'écraser dans une machine  écrire) et le rapport dénonçant un terroriste va cibler un pauvre quidam et sa famille. Brazil commence au moment où le monde parfaitement organisé dévoile une faille, la sur-bureaucratie qui oublie de considérer l'humain. C'est l'employé de bureau modèle au Ministère de l'Information, parfaitement transparent et servile, Sam Lowry, qui est chargé de mettre de l'ordre dans cette affaire et qui va plonger dans un réel qu'il ne voyait pas de son bureau, va s'y confronter brutalement. Bien plus, il va rencontrer "en vrai" la femme qui hante ses rêves, où il s'imagine la sauvant héroïquement de quelque périls... 

Le monde de Sam s'écroule à la vitesse de ses découvertes.

Sam est-il la victime d'un système bureaucratique kafkaïen qui s'impose comme un fascisme aveugle et omnipotent ou est-il le fils gâté du système dont il ne veut rien connaître par peur de devoir sortir de son confort et de ses rêves et d'affronter le réel, comme pris dans un syndrome de Peter Pan ? Bien sûr c'est un rouage dans une organisation qui le dépasse, mais il tutoie un ministre et sa mère est très influente...  

La fable incroyable sortie de l'esprit  burlesque et génial de Terry Gilliam, l'un des fondateurs du Monty Python Flying Circus, Brazil, est disséqué avec beaucoup de soin et d'intelligence par Paul McAuley. Analysant le film en suivant son déroulé, il nous replonge dans ce qui est le plus inventif et le plus novateur des films de science-fiction, reconnu comme le moment fondateur du genre Steampunk par son travail de mise en scène d'un retro-futurisme cohérent (l'hommage à Metropolis de Fritz Lang est évident). C'est d'ailleurs souvent sur les détails de la mise en scène et des cadrages spécifiques de Gilliam que se concentre McAuley, montrant à quel point son utilisation des angles de vue permet  de s'imprégner des sentiments des personnages. Il pointe également les thèmes récurrents dans l'oeuvre de Gilliam  et resitue Brazil parmi les chef-d'oeuvres comme L'Armée des douze singes ou Bandits bandits

Critique violente du consumérisme (revoyons cette scène incroyable où le camion file pour échapper à la ville mais ne voit jamais rien que d'immenses panneau publicitaires, qui eux-mêmes semblent cacher un paysage apocalyptique) aussi bien que de l'enfer bureaucratique, Brazil n'est en fait qu'un appel d'air à reconsidérer l'humain et à poser cette question : le rêve serait-il la dernière liberté ? car s'échapper par le rêve permet au héros comme au lâche d'en terminer avec cette incroyable et inhumaine réalité...

Paul McAuley explore les différentes strates de Brazil, matérielles du film à exister (des aléas du scénario aux conflits entre Gilliam et les producteurs américains) avec beaucoup d'intelligence et permet de redécouvrir la richesse et la beauté de ce grand délire cinématographique.



Loïc Di Stefano

Paul McAuley, Brazil, traduit de l'anglais par Sandy Julien, Akileos, juin 2016, 85 pages, 11,90 eur

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