Gérard Freitag : La bonté des lichens
Croisant sobriété hivernale et existence minimale dans l’autre de notre monde, le poète nous rappelle des dimensions qui nous sont étrangères et nous invitent à sortir de nous-mêmes – de nos « vies éteintes » par nos écrans de techno-zombies assistés :
L’absence s’élargit vers ses derniers confins
Personne n’est quelqu’un
Peut-être faudrait-il
Lichens patients sur la pierre des nuits –
inventer la bonté
Le verbe du poète quitte la chambre d’écriture, il sait la vie brève mais ne se connaît pas le souffle court et court les chemins, traverse les jours, se fait passerelle vers d’autres forces et d’autres lois que les nôtres – histoire de faire entendre le chant du monde résonner contre les vitres :
Toute une vie d’haleines
Sur les vitres des jours
S’y lisaient embuées
Toutes les existences
Que nous n’avions pas eues
Jusqu’au miroir tendu
Vers des lèvres ouvertes
Qui n’en troublent plus l’eau
Ainsi, ce que nous pensons être notre vie, toutes nos vies possibles, est depuis toujours détaché de toute possession : dirait-on que les lichens sont nés pour l’homme ou qu’ils appartiennent à la terre ? Ou que l’homme et les lichens seraient les deux parois inversées d’un même miroir ?
Et s’il suffisait qu’un seul livre, parmi les millions de livres en sommeil imprimés depuis le commencement, se lève et s’ouvre pour faire entendre une petite musique habitée qui appartiendrait à tous, en son invincible force d’aurore et d’éveil ? Et s’il pouvait vraiment nous inciter à inventer la bonté ? Quoi de plus naturel en somme que de se laisser reconquérir sur nos manquements, nos renoncements et nos mouvements mécanisés par les fulgurances d’une poésie de bonté dont la miséricorde fait remonter la question originelle avant que la lumière des vivants ne fut ?
Michel Loetscher
Gérard Freitag, Aurores des lichens, éditions du Tourneciel, photographies d’Olivier Klencklen, éditions du Tourneciel, collection « l’Ecureuil volant », 170 p., 15 €
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