Alfred Sisley, l’impressionnisme en nuances

Quand on parle des peintres impressionnistes, son nom ne vient pas d’abord à l’esprit. S’il est évoqué, il l’est rapidement. Occulté par Monet, Renoir, Pissarro. Par Degas, voire Caillebotte. Récemment par Bazille. Sans doute parce que tant sa vie que son œuvre sont longtemps restées discrètes et que la critique ne s’y intéressa guère de son vivant. Parce qu’il a côtoyé sinon la misère du moins la pauvreté, et que ses conceptions picturales n’ont pas bouleversé un mouvement qui déjà par lui-même était une révolution, pour reprendre un mot souvent employé. Se consacrant presque exclusivement aux paysages, ce qui le rapprochait de Corot et le faisait héritier des aquarellistes anglais comme Cozens, Girtin, Cotman, un lien dont il ne pouvait manquer de se rappeler en raison de son ascendance britannique, Alfred Sisley (1839-1899) aura connu la célébrité après sa mort. Malgré le soutien de Durand-Ruel ou de Théo van Gogh, gérant de la galerie Goupil à Paris, qui achète en 1885 un de ses tableaux. Sisley sera admis au Salon mais il en connaîtra aussi les refus. Sans aménité, on le jugea bon pour être « le secrétaire du club ».

Ces pages rédigées par des spécialistes signent un juste retour et permettent de voir combien sa facture est personnelle, sa touche légère et vibrante, irisée, délicate, non moins expressive que celles de ses amis du café Guerbois, un de ces endroits à la mode situé tout près de l’atelier de Manet, qui se trouvait 34 boulevard des Batignolles. Les avis ont donc changé, heureusement. Sisley ne mérite-t-il d’être considéré comme « le plus méconnu et peut-être le plus pur des impressionnistes », ainsi que le suggérait Françoise Cachin en 1992 ?

Ses sujets de prédilection sont en Ile-de-France, dans ce qui était alors un ensemble de villages presque isolés en pleine campagne, des lieux oubliés des promoteurs, dont le charme des maisons, les bords des rivières, la conjonction d’un début de modernité avec la permanence du passé, les champs alentour, filtrés par sa main, deviennent sur la toile une authentique poésie. Louveciennes, La Celle Saint-Cloud, Marly, Moret-sur-Loing, Fontainebleau, autant de sites décrits avec un pinceau qui saisit les moindres nuances de lumière, dans la transparence de l’air, le frémissement des feuilles dans les arbres, les reflets de l’eau.

Le froid, la chaleur, il sait parfaitement les faire ressentir par celui qui voit La Seine à Bougival en hiver (1872), Vue de Marly le roi, effet de soleil (1876), le lumineux Champ de blé, coteaux à Argenteuil (1873). Le véritable observateur de l’atmosphère qui change, se colore au fil des heures, se pare de nuances, c’est lui. « Sisley fixe les moments fugitifs de la journée, observe un nuage qui passe et semble le peindre en son vol » écrivait Mallarmé. Pour Joris Karl Huysmans, « son œuvre a de la résolution, de l’accent, elle a aussi un joli sourire mélancolique et souvent même un grand charme de béatitude » (L’art moderne, 1883).

Que ce soit avec la cadence des saisons qui font succéder aux inondations les fenaisons, les cadrages inusités, les diagonales qui, par un chemin ou un pont occupant au premier plan l’espace, accroissent la perspective, son talent a été de traduire « l’émerveillement de la vie ». L’humain dans sa production est secondaire, il n’est qu’un personnage propre à valoriser la nature.

Sisley a un savoir particulier qui rend ses tableaux attrayants. Il ne les surcharge pas, il évite les outrances, il s’adresse à l’œil et à la sensibilité. Son regard attentif, il le dépose en quelque sorte avec les couleurs qu’il anime de son désir de rendre les choses dans leur vérité, comme en souvenir de ce qu’énonçait au XVIIème siècle l’artiste chinois Kuo-Hsi, pour qui l’intériorité cachée des choses était une valeur vraie et insurpassable. Pas de pathétique chez lui, le ton adapté. Sisley estimait que « l’intérêt dans une toile est multiple. Le sujet, le motif, doit toujours être rendu d’une façon simple, compréhensible, saisissante pour le spectateur. Celui-ci doit être amené, par l’élimination des détails superflus, à suivre le chemin que le peintre lui indique et voir tout d’abord ce qui a empoigné l’exécutant ». Durant son séjour en Angleterre, ouvert à l’émotion des fêtes nautiques, il témoigne, par une exécution rapide, une fluidité des effets, un sens des réalités, de l’excitation née de la compétition (Régates à Molesey, 1874). Sa manière, vers la fin, se fait plus libre, les contrastes sont davantage marqués, les coups de brosse sont véloces.    

Regrettant que malgré ses démarches il n’ait pu obtenir la nationalité française, conscient de son absence de notoriété, souffrant de terribles névralgies, Sisley à la veille de mourir demande à Monet de veiller sur ses enfants.

En retrait à son époque, Sisley est maintenant célébré, admiré pour ses « séries », notamment celle de l’église de Moret exécutée en 1893-1894. Cet ouvrage élégant, soigné, d’un format agréable, regroupant les œuvres les plus éloquentes de la carrière du peintre, offrant la possibilité de découvrir des tableaux peu vus ou ignorés du public, accompagne l’exposition de l’Hôtel de Caumont Centre d’Art d’Aix en Provence *. Les auteurs apportent sur l’homme et son travail de nouveaux éclairages, mettent en avant sa personnalité originale qui avait délimité son « territoire » et cette volonté de Sisley de peindre « l’immédiateté de son expérience visuelle et émotionnelle ».

Dominique Vergnon

Sous la direction de MaryAnne Stevens, Alfred Sisley, l’impressionniste, éditions Hazan, collection « catalogues d’exposition », 192 pages, 110 illustrations, 27x24 cm, mai 2017, 29 euros.

* Jusqu’au 8 octobre 2017 ; www.caumont-centredart.com

 

 

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