L’Orient vu par son imagerie populaire

Après un temps de réflexion, repartant sur de nouvelles options, la Fondation Pierre Arnaud renoue avec les expositions et ce qui les accompagne en général, les débats, les rencontres, les questionnements, les découvertes. Avec cette présentation inédite, elle porte son attention sur un sujet qui relie plusieurs thèmes, l’art mais aussi la vie sociale, les relations internationales, la politique, un passé plus ou moins récent qui reste d’actualité et sert ou dessert l’identification réciproque et le respect mutuel entre Orient et Occident. Il s’agit de la collection patiemment composée au long des années par Pierre et Micheline Centlivres-Demont, un couple aussi curieux qu’érudit d’ethnologues et d’inlassables voyageurs suisses. En voyant cette collection, on pense au rôle joué naguère par les images d’Epinal et l’imagerie saint-sulpicienne.

A eux deux, ils ont réuni en effet au cours de quelques cinquante années de passion et de recherches, 1600 images populaires, un mot qu’ils préfèrent à celui d’affiche. Tirées à 2000 voire 3000 exemplaires, sortant de centres de production comme Le Caire, Damas ou Téhéran, beaucoup sont désormais introuvables. Classées, répertoriées, ces images rassemblées avec soin constituent une espèce de trésor qui, dans la simplicité des factures, l’aplat des couleurs, parfois la naïveté des attitudes mais également l’intelligence des propos et la finesse des observations, déploient un enseignement sur cet univers moyen-oriental « confusément perçu en Europe », selon Pierre Centlivres,

Les 160 images exposées sont autant de documents-témoignages de ce que peuvent être les visages d’un Orient décliné suivant une série de chapitres : la religion, les légendes, les héros, la femme, l’enfant, la guerre. De couleurs vives, offrant cette chorégraphie du signe qui est la marque du graphisme oriental, ces images ont été achetées comme le feraient des pèlerins, dans les bazars, sur les marchés, chez des particuliers, au hasard des souks. Elles proviennent de la constellation de pays qui tissent ces liens à la fois similaires et jamais identiques du Maghreb le plus à l’ouest au sous-continent indien à l’extrême est, en passant par les jalons majeurs d’une culture que les deux collectionneurs connaissent bien pour l’avoir étudiée de près, Tunisie, Syrie, Irak, Iran Afghanistan, entre autres nations. Au voyage dans l’espace se joint le retour dans l’histoire. Mahomet, dont une image achetée au Maroc retrace la généalogie à partir d’Adam, côtoie le philosophe poète soufi Lal Shahbaz Qalandar (1177-1275), trouvée au Pakistan et  le commandant Massoud, image négociée à Lahore.

Auteurs de nombreux ouvrages, conférenciers invités un peu partout, Pierre et Micheline Centlivres-Demont ont été guidés dans cette quête par l’éclectisme de leur savoir, le désir de comprendre la valeur des messages, la volonté d’en restituer la portée. Les autres auteurs abordent d’autres points d’intérêts pour une meilleure compréhension du propos développé. On voit que « contrairement à ce que l’on croit en Occident, l’image n’est pas interdite en tant que telle dans ces régions ». Le choix qu’ils ont fait met effectivement en relief ce miroir qui existe à plusieurs niveaux entre ces deux pôles de civilisations et ce depuis Abraham.

Paradoxe en apparence et évidence oubliée, moins confrontation qu’association, de nombreux exemples seraient à retenir de cette double alliance et de ces échanges nés de la diffusion des savoirs. Se retrouvent ainsi la Vierge, Noé et  « Abbas, le porte-étendard ». Pour rester dans le seul domaine de l’art, signalons par exemple combien surprenant est de voir que le cheval blanc à la crinière enfiévrée du célèbre tableau de Jacques-Louis David montrant Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard, exécuté autour de 1801, est repris tel quel sur une feuille où apparaît Abbas allant chercher de l’eau à l’Euphrate. De même, le tableau de cette fillette à genoux les mains jointes et les yeux levés au ciel, acquise en Syrie, est-elle, à deux ou trois boucles blondes près et la calligraphie en plus, la copie de cette huile sur toile peinte en 1777 par Sir Joshua Reynolds, intitulée Le petit Samuel en prière. Ou encore, plus surprenant encore, se distingue ici et là la photographie de Joe Rosenthal, prise le 23 février 1945, fixant un groupe de marines américains élevant le drapeau étoilé à Iwo Jima, revue et corrigée suivant les exigences de la propagande, dans ce cas plantant un drapeau pakistanais.

Ce sont ces croisements, ces interférences, ces rapports que l’histoire a façonnés, autant sans doute au fil des hasards que dans la logique des connaissances transmises et partagées que relate cette galerie où les repères visuels vont de la rose au minaret, du fez à l’épée à deux pointes et de la queue de paon au turban. Idéalisation, symbolisme et réalisme se répartissent la vision iconologique des scènes qui ouvrent un autre regard envers le monde musulman.

Dominique Vergnon

Pierre et Micheline Centlivres-Demont, Christophe Flubacher, Silvia Naef et Martine Gozlan, éditions Favre, Visages de l’Orient, Fondation Pierre Arnaud, 96 pages, illustrations, 17x24, 18 euros.

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