Raoul Ubac chez Antoine Laurentin : légèreté de l'ardoise & autres formes

Il est toujours rafraîchissant d’aller voir l’exposition d’un artiste que l’on aime, dont on possède une œuvre, ne serait-ce que pour titiller son appétit, et surtout continuer à plonger dans les abysses de l’œuvre et revenir à la lumière enrichi d’une nouvelle essence, d’un plaisir encore plus grand, convaincu derechef que cette énergie libérée correspond parfaitement à nos attentes, comble ce vide de sens que le quotidien mercantile creuse un peu plus chaque jour… Mes pas me portèrent donc sur le quai Voltaire pousser la porte de la galerie Laurentin, au numéro 23 : y sont exposées des photographies, des peintures et des sculptures de Raoul Ubac jusqu'au 11 novembre 2017.

C’est par l’entremise de Julius Baltazar que je me suis le plus approché de l’esprit de l’artiste, car les deux compères se côtoyaient – d’ailleurs ils exposèrent ensemble, en 1999, au Martin-von-Museum de Wurtzbourg (Allemagne) puis à Montréal en compagnie de Benrath, Cortot, Debré, Marfaing, Manessier et Zao Wou-ki ; et en 1983, en hommage à Dmitrienko, parut À l’infini le sable, un texte de Baltazar accompagné de deux empreintes d’ardoise de Raoul Ubac aux éditions Adrien Maeght – si bien qu’à force d’en entendre parler j’avais l’impression de le connaître un peu…

Cet univers imprégné d’espace et d’éphémère, de mouvement et de vide dans des jeux de formes apaisantes et invitant au rêve ne pouvait que me combler.

D’ailleurs, en pénétrant dans la galerie Laurentin, ce sont les sculptures qui marquent le tempo, imposant malgré leur taille modeste une solennité au lieu, dictant leur point d’origine dans une quête d’absolu sur la fragilité du matériau qui n’est pas que bloc car l’ardoise est un livre de pierres, mille pages fines superposées dans l’horizontalité que seule la main géniale de l’artiste parviendra à sculpter, tailler, dompter pour ordonner une forme, une image, une émotion…

Cette histoire d'amour entre ce drôle de matériau et Raoul Ubac commença en Savoie, en 1946, quand il tomba par hasard sur une dalle d’ardoise qu’il s’amusa à graver à l’aide d’un outil de fortune. L’inquisition portée à la surface libéra des fines strates de gris plus ou moins soutenus qui l’incitèrent à poursuivre l’expérience. Et tous les possibles s’offrirent à lui, frotter des papiers pour des rendus en relief et en couleurs, des empreintes sur papiers préalablement peints, une quête graphique vers des formes d’absolu.

Le temps passant, Ubac délaissa l’incision forte pour dégager certains plans en champlever, puis il osa attaquer le matériau avec des outils de sculpteur et donner certains angles à sa découpe, et jaillit la lumière frisante sous l’effet des divers reliefs qui se révélaient… L’idée lui vient alors de sculptures bi-faces.

En clin d’œil à ces stèles improbables mais bien réelles, quelques photographies, en noir et blanc, jalousent les trois dimensions en témoins multiples d’un travail artistique qui se joue des reflets dans le rendu recherché.
Nonobstant, une pointe de légèreté onirique s’est aussi imprégnée sur les cimaises par le biais d’un jeu de peintures sur papier ou de tableaux abstraits et colorés, tâches rectangulaires dans l’esprit d’un Nicolas de Staël ou filigranes superposés pour dessiner, comme il le faisait sur le sable, ces lignes de fuite qui disent aussi l’éternelle quête d’un chemin ondulant pour casser la norme géométrique à angle droit de nos cités aliénantes…



Avec ce très beau catalogue dans les mains, je regagnais l’air vicié de la capitale avec l’âme nettoyée des scories contemporaines, conforté dans l’idée que l’art moderne jamais ne sera égalé – et encore moins surpassé – dans cette chasse au sensationnel qui oublie que la beauté en art est le règle d’or de toute démarche.

François Xavier

Galerie Antoine Laurentin, Raoul Ubac – Photographe/Peintre/Sculpteur, exposition du 14 septembre au 11 novembre 2017.

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