Hervé Di Rosa, la liberté à profusion

Dans le texte qui introduit cet ouvrage, le commissaire de l’exposition qui se tient actuellement dans l’élégant musée du Touquet qui s’installait en 1989 dans la villa Way Side construite en 1925 par l’architecte Henri Léon Bloch, donne des clés sinon la clé permettant d’entrer en phase avec les peintures d’Hervé Di Rosa. Car il faut pour porter un jugement qui ait quelque fondement, comme d’ailleurs pour tout travail d’artiste, disposer des éclairages de ceux qui l’ ont étudié, en ont suivi l’évolution, connaissent les ressorts intérieurs de l’œuvre et de son auteur. « A travers des peintures pleines de loufoqueries, d’élucubrations, Hervé Di Rosa offre, en fait, des aveux de vérité, des vies d’individus qu’il croque en caricaturant le réel pour le révéler ».
Avec en plus, tel un sésame, un mot qui traverse les toiles et guide les pas au long de ce parcours : liberté. Elle est dans les thèmes, les formes, les couleurs, les dimensions et les éléments qui parfois s’y ajoutent comme des plumes d’oiseau, du bois et des matériaux divers. Les titres des peintures relèvent eux-mêmes de ce droit à la liberté et résument le propos, ou le détournent. Dérouter pour détourner, une manière de provoquer l’intérêt et solliciter l’attention.

 

Exécutée en 1986, huile sur toile de jute, La mangeaille est une scène ubuesque de goinfrerie, une formidable dénonciation, un clin d’œil à Gargantua, une évocation lointaine des sarcasmes d’Ensor. Sous la table, qui partage en deux la composition, en opposition à la profusion colorée de crustacés et de poissions du dessus, s’amoncelle dans des tonalités sombres, les déchets de cet appétit dévorant. Les dents des deux marins, compères à la Rabelais, dévorent la vie et la détruisent dans une seule bouchée. On est là loin de cette impressionnante symphonie de jaunes, d’ocres, de bruns, de noirs, de tons acides dont les contrastes accroissent d’autant une luminosité vive et venue du dessous des visages, monstrueux ballet d’yeux et diabolique festival de rictus qui souhaitent à la manière d’un oracle primitif La bonne année.
La gamme des sujets traités par Hervé Di Rosa est ample.

 

Cette liberté revendiquée guide Hervé Di Rosa, né à Sète il y a 60 ans. Il choisit ses étapes sur la carte du monde, en retire ce qu’en général le touriste ne sait, ne veut ou ne peut pas faire. Une connaissance des gens, des jalons esthétiques qui se retrouvent dans son travail, des références humaines qui inspirent ses couleurs. Il voyage et nous emmène presque par l’œil et la main dans son périple. 

On sait qu’il y aura très bientôt 20 ans, motivé par le goût de voir, d’éviter des hiérarchies, de valoriser même l’inutile ou l’invisible, Hervé Di Rosa fondait dans sa ville natale un lieu dont le nom est déjà en soi un appel à oublier les préventions, un lieu dont l’acronyme est une invitation à découvrir autre chose : le MIAM. Autrement dit, le Musée international des arts modestes.

Pourquoi ? Parce que : « Tout est art ». Sans doute ! Mais non. Tout n’est pas équivalent à tout, l’histoire a heureusement accoutumé le regard à célébrer les belles œuvres qui transcendent le temps. Certes, quand il dit «que ce soit avec un œuf Kinder ou avec un ex-voto, il faut savoir regarder », il a raison. Léonard de Vinci notait que les remous de l’eau valent ceux des comètes. Mais on peut aussi penser que La Victoire de Samothrace l’emporte en puissance et en élégance sur certaines statues qui défigurent maintenant nombre de ronds-points. « Le mauvais goût, c’est de confondre la mode, qui ne vit que de changements, avec le beau durable » disait Stendhal. Des mots qui n’ont rien perdu de leur vérité.

Ce qui charme ou surprend chez Hervé Di Rosa, ce sont ces unions entre les contraires, ces associations de cultures, ces abolitions de frontières, ces alliances de caprices autant que ces confusions de repères, qu’elles soient esthétiques ou géographiques, voulues ou spontanées. S’ajoute la volonté de rire, de se moquer, de démultiplier les perspectives, comme l’écrit Henry Périer. La palette des couleurs est immense, les personnages qui peuplent cet univers sont innombrables. Le peintre « arpente encore et toujours les territoires picturaux qu’il s’est appropriés depuis longtemps ».  

 

Les 40 années de peintures qui sont présentées montrent que les sources auxquelles Hervé Di Rosa se désaltère sont multiples, de Masaccio à la BD, du naïf à l’underground, d’une mythologie devenue personnelle au théâtre d’ombres. On pense à un Bosch moderne. On est à Babylone, on est devant un chaos qui, à bien l’observer, s’ordonne entre humour et angoisse. Dans une des salles, on peut lire : « Le réel habite mes dessins, même si ce n’est pas le dessin de la réalité ».
La liberté, à nouveau, est laissée à chacun d’entrer ou non dans cette réalité. Le temps comme pour tout, fera son œuvre. Il faut donner à l’un et l’autre cette chance. Une citation serait à inscrire ici. Elle est de Ben : « Trente pour cent provocation anticulture, 30 % figuration libre, 30 % art brut, 10 % folie. Le tout donne quelque chose de nouveau ».
En parcourant l’exposition du musée du Touquet Paris-Plage, le visiteur peut modifier les % à sa guise.

 

Dominique Vergnon  

 

Henry Périer, Pierre Restany, Hervé Di Rosa, peintures, peinture, (1978-2018), 85 illustrations, 310 x 250, éditions du Musée du Touquet-Paris-Plage, février 2019, 136 p.-, 28 euros

www.letouquet-musee.com; jusqu’au 19 mai 2019  

 

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