Venise sauvée des bruits

À voir ces photos silencieuses, le rapprochement vient de lui-même et s’impose. Voici Venise sauvée des bruits, comme on a coutume de dire ou de lire Venise sauvée des eaux. Deux périls qui sans cesse menacent cette féérie urbaine posée comme une couronne tour à tour ocre, rose, en camaïeu de bruns, bleutée et dorée au fond de l’Adriatique. Rien ne sera jamais assez fait pour préserver Venise des périls extérieurs. Les bruits de la modernité envahissante, comme ces coups de sirène des gigantesques paquebots de croisière qui viennent au plus près du centre, ne sont pas les moindres dangers.
On comptait plus de 500 accostages en 2018, avec un flot de près de 1,8 millions de touristes qui passent une journée à terre et repartent de nuit ! Il est vrai, les taxes sont élevées, les flux financiers ne sont pas négligeable… Les dommages n’ont plus.

Un ouvrage comme celui-ci montre à quel point le silence devrait habiter Venise autant que possible. On entend comme une respiration, quand ce silence n’est que rompu par les conversations, les disputes des mouettes, le ronronnement discret d’un motoscafo. Venise est alors elle-même. Les bruits traditionnels de Venise ont fait l’objet d’enregistrements révélateurs. Il suffit d’écouter pour comprendre que tous étaient jusqu’à ces dernières années adaptés depuis toujours à ce décor unique. 

Peut-on mieux visiter la cité des Doges que de la façon proposée par Gaby Wagner, qui connaît mieux que quiconque le labyrinthe des ruelles, les trésors des chiese ou les secrets d’un squerro, l’atelier où se fabriquent les gondoles. Des instants et des lieux vénitiens que les touristes ignorent.
Marcher en solitaire, comme elle le fait, avec pour guide invisible le silence des pierres et la pure élégance de leurs architectures, le silence de la Piazzetta quand ni un pas ni une parole ne retentissent, le silence à nouveau en arpentant les fondamenti et les calli, le silence encore de la lagune et des canaux quand aucune onde ne ride l’eau et qu’elle devient le miroir parfait des palais alignés en une seule perspective conduisant le regard jusqu’au dôme de La Salute, le silence toujours d’un Campo, le silence enfin autour du Rialto, d’habitude si bruyant de l’agitation des foules.

Un son au détour d’une photo peut-être, infime, charmant, l’envol de quelques pigeons, ou un bruissement presque imperceptible, celui les gondoles alignées bord à bord qui agitent en cadence leur coque noire se frôlant. Voir ainsi les choses est un enchantement, apporte la sérénité, comme si ce mot annonçait celui de Sérénissime. 

Personne sous les arcades de la Piazza San Marco, personne le long d’un petite rue qui longe le Rio Boldo, personne encore sur le pont San  Pantalon, toujours personne Campo San Tomà.
Où sont passées ces multitudes de gens qui sillonnent la ville et achètent des souvenirs fabriqués à l’autre bout du monde ?
Pas de tapages et de brouhahas malséants. Jamais cette alliance unique de l’eau, du ciel et de la pierre n’aura été mieux visible que sur ces quelques 80 photos, judicieusement choisies parmi plus de 500 réalisées en quelques mois. Dans un tableau peu connu, J. M. W. Turner célèbre la cérémonie du Doge épousant la mer, une étonnante huile sur toile de 1835 environ.

Tout est suggéré, autant que véritablement présent. Gaby Wagner renvoie le regard à cette symphonie de couleurs et aux autres admirables peintures de Canaletto, Guardi, qui montrèrent Venise dans ses précieux atours du moment, ses alignements rigoureux ici et fantaisistes là. Gaby Wagner a fait comme une transposition contemporaine de ces œuvres d’art. Sans perdre l’essence de Venise, elle a pris le soin d’indiquer l’heure de ses prises de vues, tôt le matin tard le soir, quand les tonalités apportent davantage de reliefs aux édifices, aux frontons des églises, aux balcons des palais, aux simples maisons où brillent les fenêtres.

Le soleil succède à la nuit. Il y a comme un mystère quotidien que l’on avait oublié et que chaque photo restitue, dans ce même silence. Des pages qui sont une invitation à la méditation d’une Venise inconnue.

 

Dominique Vergnon

 

Gaby Wagner, Venice in silence, 280 x 370 mm, 94 illustrations, éditions El Viso, octobre 2020, 152 p.-, 60 € 

 

 

 

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