Histoires de tables, voyages de saveurs

Auteur de l’ouvrage La physiologie du goût paru en 1825, Brillat-Savarin (1755-1826) est demeuré plus célèbre comme gastronome que comme magistrat. Il aimait les aphorismes du genre La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile et affirmait que la cuisine est le plus ancien des arts. Preuve est faite de la vérité de ce constat au fil des pages de ce catalogue comme au long des salles de cette exposition.

Partant de l’Antiquité et son banquet pris allongé, la cena, conduit jusqu’aux étranges ustensiles pouvant servir en temps d’épidémie, passant par le festin médiéval et son tailloir, le repas des princes de la Renaissance, le buffet garni pour une collation des plus raffinées au cours du XVIIIe siècle tel que le peintre François Desportes le décrit, avec son gros jambon, un gourmand pâté en croûte, ses abricots duveteux, ses pyramides de poires, le souper intime dans les salons et le dîner de gala donné lors des réceptions officielles, le lecteur est invité à effectuer un splendide voyage à travers les arts de la table.
Il voit combien ceux-ci croisent un éminent savoir culinaire et une rare perfection des objets. Accompagnant la gastronomie, ces pièces lui donnent un surcroît de saveur. Et celles-ci à leur tour, par l’originalité de leurs formes et la grâce de leurs décors, paraissent rehausser le plaisir de la savourer.

En ce domaine l’ingéniosité triomphe. L’infini des agencements et des couleurs est la mesure des artisans qui conçoivent les assiettes, les couverts, les plats, les ustensiles et les cristaux. À eux tous,  ils font des déjeuners et des agapes des moments sociaux privilégiés, des temps qui marquent de joie l’enchaînement des jours et illuminent les fêtes.
Que ce soit un simple pichet en terre cuite et sa glaçure plombifère le rendant étanche, d’usage courant au XIVe siècle, ou la terrine en blanc en baroc et son plateau venu de la manufacture Paul Hannong à Strasbourg, de style rocaille, destinée aux viandes braisées pour les conserver chaudes, ou encore cette étagère-coupe à trois plateaux, fond blanc, frise 1042, appelée aussi serviteur muet, créée à Sèvres en 1851 et mise en service au ministère de l’Intérieur un an plus tard, tous retiennent le regard autant par leur utilité et la curiosité de certains volumes que par leur grâce.
Certains cependant ont un autre propos. Par exemple les aiguières, posées sur une desserte, servant au lavage des mains des convives. Une prestigieuse paire d’aiguières en faïence stannifère à décor de grand feu polychrome, réalisée à la Manufacture de Sèvres en 1680-1685, possèdent des anses en forme de dragon et offrent un délicat décor a istoriato.

 

Pas de cuisine sans sucre, sel, condiments, épices et donc sans saloirs ni salières, pots à moutarde, boîtes pour conserver les aromates, saupoudreuses, rouleaux à pâtisserie, moulins à café. Les chocolatières contenaient ce qui au départ était une bouillie mêlée de maïs au goût amer, le chocolat,  aliment complet pour les peuples précolombiens, connu en Europe au retour du conquistador Hernan Cortès qui présenta à Charles Quint ce nouveau breuvage. L’ensemble des collections présentées est stupéfiant tant par l’élégance que par l’adaptation de leurs configurations aux besoins culinaires et de leurs ornementations aux services des amphitryons, hôtes, maîtres de cérémonie. Ne pas oublier l’entremets, désignant à la fois un plat sucré servi le plus souvent entre le fromage et le dessert et le spectacle donné entre deux plats lors des réceptions à la cour.
Le repas à la française n’a pas été classé sans raison au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2010. Il s’agit là d’une double reconnaissance, qui salue une table joliment dressée autant que la bonne chère.  

 

Pas de repas possible enfin sans couverts, sans verres et sans menus ! Au XIXème selon la baronne Staffe, il n’est pas de beau menu qu’on y inscrive un habitant des rivières ou des mers. Le déguster avec une fourchette et un couteau à poisson à manche de corail allié à l’argent, œuvre d’un orfèvre oublié, Ernest Cardeilhac, était un plaisir lors des soirées de la bonne société !
De même pour la cristallerie, le verre à jambe modèle étrusque ou le verre Roemer bleu foncé accueillaient d’agréables et nobles boissons. Sur d’autres tables, pétillait le champagne. Une huile de 1735 intitulée Le Déjeuner d’huitres, signée Jean-François de Troy décrit en détails ces alliances de luxe, succulence, conversation, agréments des sens. On lira avec surprise l’enchaînement des plats,  d’une écriture à la fois sage et recherchée, sur le menu d’un repas pris chez M. Laurent autour de 1895.

Les quelques 1000 œuvres, provenant des collections du musée de Sèvres, qui depuis 1740 assure la transmission de ses anciennes techniques de fabrication et de son patrimoine exceptionnel ainsi que du Musée national Adrien Dubouché, qui possède la collection publique la plus riche au monde de porcelaine de Limoges, composent un festival et une invitation à en admirer certaines, et permettent de retrouver Brillat-Savarin, pour qui convier quelqu'un, c'est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu'il est sous notre toit.

 

Dominique Vergnon

 

Anaïs Boucher et Viviane Mesqui, (sous la direction de), À table, le repas tout un art, 170 illustrations, 220 x 280, éditions Gourcuff Gradenigo - Sèvres-Cité de la céramique, décembre 2020, 255 p.-, 39 €

 

L'exposition est reportée (initialement prévu du 16 décembre au 6 juin 2021) ; voir le site sevresciteceramique.fr)

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