Gros temps et tourments sur la mer romantique

Nuages noirs dans le ciel et rochers blancs d’écume, furie des vents et colère des vagues, étraves brisées et épaves pillées, c’est bien un avis de tempête que le visiteur et le lecteur affrontent au fil de ces pages comme en parcourant les salles de cette exposition.
En trois parties, elle déploie une suite de superbes œuvres qui illustrent un thème rarement abordé et qui a inspiré autant les écrivains que les peintres au XIXe siècle, sans oublier les musiciens. Il suffit de penser à la sonate n° 17 La Tempête de Beethoven ou au Vaisseau fantôme de Wagner.

Les passions romantiques agitent alors les cœurs et les esprits en Europe. Un peu avant la France, deux mots en Allemagne, qui allaient devenir célèbres, Sturm und drang résumaient et unifiaient le mouvement autour de quelques noms dont celui de Goethe et son jeune Werther n’était pas le moindre. De même en Angleterre, les admirations allaient-elles vers quelques maîtres à penser comme Byron incarnant le héros romantique.

Le sujet n’est pas neuf en soi. Le déluge fascine John Marin qui zèbre une impressionnante eau-forte d’un terrible éclair. L’orage séduit Pierre-Henri de Valenciennes qui fait fuir Didon et Enée sous sa menace. Le châtiment divin anime Rubens qui avec Jonas jeté à l’eau, huile sur toile de 1618, frappante de réalisme, tout en se reliant d’abord à l’aspect biblique de l’épisode, rend pour autant visibles l’agitation des flots et la force du vent.
Poussés par les écrits de Diderot, Bernardin de Saint-Pierre dont l’héroïne Virginie disparaît en mer, Victor Hugo qui fait périr marins et capitaines dans Oceano nox, Chateaubriand, les peintres vont faire des tempêtes, des naufrages, des sauvetages, les acteurs de leurs tableaux.

 

C’est toujours la mer recommencée, ni un doux clapotis et ni une légère brise, non, comme le veut Alexandre Dumas, une mer véritable, une mer à tempêtes !
Et c’est aussi comme le rappelle Gaëlle Rio la valeur dramatique du combat de l’homme contre les éléments que les peintres inscrivent dans l’espace. Ils décrivent avec les couleurs de la puissance déchainée et de l’inquiétude qui devient effroi ces forces naturelles qui engloutissent l’homme, se brisent contre les côtes, laissent des veuves et des orphelins.
Louis Garneray et son pauvre Naufragé qui va disparaître et implore la Providence de le sauver, Courbet et La Trombe qui déchire de verticales grises les nues, Théodore Gudin à Belle-Île et son ressac furieux, Ary Scheffer et sa femme éplorée au lendemain de la noyade du père, témoignent magnifiquement l’un comme l’autre de l’ampleur de la houle et de la douleur des familles.

 

Audacieux dans ses compositions, aventureux avec ses couleurs, sensible et fin observateur, en brouillant les effets de l’eau et de l’air, effaçant les limites visibles de la terre et de la mer, Turner traduit une réalité sans doute idéalisée et esthétiquement émouvante. Mais comme son pinceau donne vie et souffle aux tornades, bourrasques, disparitions de navires !
Spectacle grandiose, qu’il soit vu du littoral ou du pont d’un brick, il offre toujours ce contact physique dont la beauté nous dépasse, selon les mots d’Alain Corbin. Le dicton breton le dit, petit temps, grand foc, gros temps, petit foc.
Embarqués sur Le Radeau de La Méduse de Géricault (4ème esquisse) et essuyant Un grain d'Eugène Boudin (huile sur toile de 1886), le lecteur comme le visiteur sont invités à mettre toutes voiles dehors.  

 

Dominique Vergnon

 

Gaëlle Rio (sous la direction de), Tempêtes et naufrages, de Vernet à Courbet, 85 illustrations, 165 x 245, éditions Paris-Musées, décembre 2020, 192 p.-, 29,90 euros

www.museevieromantique.paris.fr

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