Un parcours dans l’art africain

Elles proviennent du Mali, du Cameroun, du Congo, du Nigeria ou encore de la République Centrafricaine ; elles allient le bois au métal, le raphia à l’ivoire, les fibres aux pigments ; leurs noms évoquent ces cultures qui fleurirent sur tout le continent puis pour la plupart disparurent. Elles demeurent en cela de précieux témoignages. Chacune de ces pièces valorise à sa façon les manières locales de travailler les matières afin d’exprimer ce que l’inspiration exigeait, les symboles recherchés qui les associaient à la nature, les modes de vie propres aux lieux où elles ont été façonnées. Parce que ces formes surprennent nos regards et parfois les dérangent, toutes défient nos repères esthétiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que cet art dit premier ou primitif est souvent mal jugé, incompris, ignoré sinon méprisé. André Gide qui avait voyagé au Congo regrettait cette condescendance des Blancs envers les Noirs. Toute absence de connaissances entraîne un désintérêt. 
Il convient donc d’oublier un temps nos critères et d’en admettre d’autres afin d’entrer peu à peu dans un univers où la simplicité des contours, pour ne pas parler dans de nombreux cas de leur pureté, et la force des volumes qui s’accroît d’autant plus qu’ils sont pour ainsi dire compactés, participent à la construction d’une étrange et fascinante beauté. Comment ne pas remarquer par exemple que sur cette statue Mumuye ou sur ce masque Songye, en dépit de ce qui paraît une rupture et une agressivité des lignes, la fluidité des motifs et la douceur des décorations traduisent une évidente sérénité ? Il faut donc accepter la surprise, c’est par elle qu’arrivent de nouvelles harmonies. Prises dans l’espace, telles que les sobres mais éloquentes photos cadrées au plus près le montrent, ces pièces acquièrent une présence qui aimante l’attention et invite à mieux comprendre les causes qui ont présidé à ces élaborations. Comme le note l’auteur, ethnologue et historien d’art, les qualités sculpturales…sont magnifiquement mises en valeur. 

On sait combien l’art que l’on appelait alors nègre avait ébloui Picasso. Autour de 1906, Derain lui fit découvrir un masque Fang provenant du Gabon et Matisse lui montra une statuette du Congo. Le célèbre tableau Les Demoiselles d’Avignon n’était pas loin ! Le peintre espagnol parlera d’une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous. Sa collection personnelle comptait plusieurs figures Kota originaires du Gabon.
Prenant appui sur l’héritage des peuples sans écritures, les artistes par la suite décomposèrent et recomposèrent leurs œuvres et s’engagèrent dans la révolution cubiste, suivant ce penchant pour la géométrie des masses venu d’Afrique.  
Le titre de cet imposant ouvrage est facile à justifier. Il réunit deux passions. Sa double qualité iconographique et historique veut en quelque sorte rendre hommage et au collectionneur et au marchand qui sont au fil du temps passés de la curiosité d’une rencontre à la complicité des échanges puis à l’amitié partagée. Ils ont tour à tour ou conjointement été séduits par l’authenticité de ces œuvres, en ce sens qu’elles sont le reflet exact de l’esprit de peuples autochtones, de leurs croyances, de leurs divertissements, de leurs labeurs, de leurs combats, de leurs cultes sorciers et ancestraux, de leurs rites, de leurs désirs de prestige, de leurs identités à défendre, de toutes leurs traditions en somme manifestées d’un coup dans une tête, un instrument, une maternité, un pendentif, un ustensile, une coupe, un reliquaire ou une poupée.

L’utilitaire rejoint par un lacis de détours le sacré. Ici et là ce sont les secrets d’une société qui transparaissent et les pouvoirs des fétiches qui apparaissent. La peur, le respect, la fidélité, la félicité, la paix ou la colère se lisent et se dévoilent sur ces visages sans yeux et ces faces figées pourtant prêtes à s’animer. Il y a, si on veut bien s’attacher à regarder lentement ces pièces, comme un charme presque surnaturel qui les habite. Leur achèvement poussé jusqu’au possible des outils, ce qui parfois donne une impression de simplisme, prouve que les mains qui les ont ouvragées voyaient en elles une sorte de puissance cachée qu’il fallait sinon vénérer du moins invoquer.
Sans aucun doute, il ressort de ce parcours que l’art africain véhicule un symbolisme transcendant la fonction pratique et l’éclectisme de l’art contemporain lié à l’art africain permet à tous les passionnés d’art de se retrouver dans cet ensemble.
Dans l’inventaire présenté à la fin du livre, le lecteur peut trouver les références de chaque pièce et par là connaître la provenance, les dimensions, les expositions qui ont été faites et diverses notes utiles.

Dominique Vergnon

Bruno Claessens, Didier Claes, Passion partagée, une collection d’art africain au XXIe siècle, 320x280 mm, 300 illustrations, Mercatorfonds, septembre 2023, 352 p.-, 95€

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