Nicolas de Staël nous parle de lui

Je suis de mon enfance comme d’un pays, écrivit un jour Antoine de Saint-Exupéry. Des mots qui aident à comprendre et suivre le parcours de Nicolas de Staël. Il convient en effet quand on cherche à le saisir dans sa personne même de ne jamais oublier ses racines, c’est-à-dire et son enfance et son pays. Leurs empreintes, même peut-être dans un inconscient toujours présent au long de ses années, traversent son existence.
Karin Müller qui aime étudier de l’intérieur ceux dont elle relate la vie et l’œuvre en entrant d’une certaine manière dans leur moi réel, a bien noté cette double prégnance.
C’est pourquoi, en laissant parler Nicky de Petrograd, elle rappelle la lignée de sa famille, la fin de la Russie des tsars, la mort autour de lui encore jeune, la fuite, l’exil, le refuge en terre étrangère. Un bagage lourd qu’il lui faudra porter jusqu’au rendez-vous final avec son destin.
Viennent les voyages, les rencontres, les amours, les enfants, les voyages, toute une navigation incertaine. Nicolas se dévoile page après page. Ce qu’inclut la vie, le couple, les naissances, les nécessités de gagner son quotidien, la réponse à donner à cet irrépressible appel à peindre, est pour lui source de joie comme d’inquiétude et de réconfort comme de tourment. Une alternance incessante et épuisante.
Sensation de vide, je ne peins plusLa vie est immense, si belle qu’on devrait se mettre à genoux…Je cherche, je tâtonne. Comment capter la lumière ?...Peindre pour moi est une cérémonie intime. J’additionne, je superpose de plus en plus de couches.
On peut ne pas apprécier la peinture de Staël, ne retenir que ses inégalités, la juger facile. On ne peut lui dénier sa sincérité, une force dans l’inachevé, un lyrisme porté par la sincérité. On le voit par exemple dans des toiles comme Sicile, de 1954, ou Parc des Princes, de 1952. Une œuvre plus que jamais reflet de la vie. Je n'ai pas la force de parachever mes tableaux avait-il écrit à son marchand et ami Jacques Dubourg. 
L’aura de Nicolas de Staël fascine et surprend. Elle en fait quelqu’un de rare et complexe autour duquel une chaîne d’amitiés s’est formée. René Char en constitue un des maillons forts. C’est d’ailleurs une de ses merveilleuses trouvailles de poète qui donne à ce petit livre son titre.
Voici, parmi les publications qui accompagnent la rétrospective du Musée d’Art moderne de Paris (jusqu’au 21 janvier 2024), un "Moi, Nicolas de Staël, je vous parle à vous lecteur" qui sort des classiques. Karin Müller ne se penche pas tant sur l’œuvre que sur son auteur. Elle n’analyse pas les tableaux dans leurs dimensions esthétiques, elle dévoile d’abord leur retentissement sur celui qui les élabore. Elle préfère suivre l’homme tel qu’en lui-même la fatalité le façonne, le grandit, le terrasse plutôt que de marquer les étapes d’une carrière. Elle établit une manière de familiarité quotidienne avec les enthousiasmes et les douleurs de son grand héros.
S’il y a forcément une part subjective et imaginative, elle est mince. Faire vivre un personnage exige une lente et longue imprégnation de son être. L’émotion qui se lit ne cache pas les connaissances qui l’inspirent. Ces pages contribuent à faire vivre un artiste dans ses luttes et son intimité fragile.

Dominique Vergnon

Karin Müller, Nicolas de Staël, enfant de l’étoile polaire, Selena éditions, septembre 2023, 92 p.-, 12€

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