Ça, c’est Choron : Un mystique de la subversion

Quand il était malade, fauché et en panne de journaux, ils ne furent pas nombreux à lui remonter le moral. Le professeur Choron allait mourir. Ça arrive à tout le monde, y compris à des types comme lui : inoxydable, ancien d’Indochine, colporteur de génie, magnat de la presse, auteur-qui-s’ignore, accélérateur de particules, fouteur de merde. Il allait mourir et tout le monde oubliait ce qu’il avait fait pour le pauvre monde. Y compris ceux qu’il avait fait naître et propulsés. L’ingratitude est la chose la mieux répandue. Certes, il avait laissé des ardoises un peu partout après avoir fait pleuvoir le fric sur la grande table de la rédaction d’Hara Kiri – vissée au sol et immeuble par destination – lutté contre les vicissitudes et les exploits d’huissiers, découragé la maladie et la morosité générale, payé de sa personne… Certes, il avait oublié l’URSSAF, les salaires, les retraites de ses employés parfois…  Mais, il avait « mérité de la patrie ». Quand il fut question, en 1992, de relancer Charlie Hebdo, créé par lui dans les années 60 avec Cavanna, et dont il fut le gestionnaire sans que le titre ne fût jamais déposé, Choron préféra s’abstenir. Il porta plainte pour récupérer les droits que le tribunal de grande instance de Paris ne lui reconnut pas. Bref, il fut écarté. L’histoire se poursuivit sans lui. L’esprit du journal satirique largement mis à mal par l’équipe de Philippe Val, fut dénaturé. Delfeil de Ton a révélé par ailleurs dans un article du Nouvel Obs – en date du 14 août 2008 –, que les membres de l’équipe nouvelle de Charlie Hebdo avaient dû signer un papier attestant que Cavanna était l’unique inventeur du titre…

 

Le professeur Choron, puisqu’il est question de lui, était au-dessus de tout soupçon de filouterie de ce genre. « Gestionnaire calamiteux » parfois, comme l’ont qualifié Cabu et Wolinski et tant d’autres qui l’avaient peu ou prou renié, Choron n’était pas l’homme des calculs. Mais il n’avait pas son pareil pour endormir le banquier, mieux : le dresser, lui soutirer l’argent nécessaire à ses bonnes œuvres collectives. Choron a pensé, vécu, créé avec sa bande de copains et pour elle. Il n’a pas fait carrière parce qu’il avait mieux à faire. Il a poussé Reiser, Topor, Fred, Gébé, Willem, Coluche et tant d’autres à se surpasser, à faire exploser les limites que chacun et la société nous imposent. Choron n’avait que ses journaux à vendre – au sens propre, puisqu’il fut d’abord un colporteur tenace –, et l’œuvre des autres à promouvoir.

 

Parlons d’autre chose ! Un beau livre collectif de fin d’année rassemble les textes de ceux dont la mémoire est longue et qui ne lâchèrent pas le professeur. Ce jusqu’au bout de sa « vie explosive ». C’est ainsi qu’on retrouve Berroyer, Cavanna, Delfeil de Ton, Bruno Gaccio, Gourio, Lefred-Thouron, Benoît Delépine, Vuillemin… pour rendre un hommage – Choron lui-même n’aurait pas aimé ça – au patron, inventeur des plus beaux journaux de la Cinquième République. Pour une fois, l’accent est mis sur les talents d’auteur de Georges Bernier (1929-2005) – c’est lui ! – dont la puissance humoristique est à peu près égale à celle de Rabelais. En feuilletant ces nombreuses pages, on revoit défiler les fiches bricolages, les fiches cuisines du professeur Choron – absolument tordantes –, les premiers textes du même, ciselés, incisifs. Que dire des pages de « L’art vulgaire », livrées avec l’aide de Gébé, détournements d’œuvres d’art désopilants. Choron écrivit de nombreuses chroniques historiques – Y a rien de pire que l’ignorance (1996), une opérette – Ivre mort pour la patrie (1998) – et de nombreuses chansons – La testiculance, Le tango des affamés –, qu’il lui arriva de chanter à l’Olympia. La verve, l’humour de Choron sont dévastatrices. Pas de calcul, aucune retenue. Marc-Edouard Nabe l’écrit : « Son art, c’est sa prestance. Choron parle en vers, fredonne par rimes tous ses propos. […] Il improvise de véritables litanies, gueule solennellement des homélies d’ordures jusqu’à les étirer en lancinante prosodie. Les sourcils en accents graves et le regard entre guillemets, il récite comme un moine tibétain les déchirantes et immondes prières que sa dérision sans limites lui inspire. S’imposer des limites, c’est un projet, une carrière. Lui il n’avait pas une carrière, il avait un destin. Lui, c’est un mystique de la subversion, c’est pas un employé de la provoc’. »

 

C’est une œuvre de salubrité publique, en ces temps où le trouillomètre de chacun est au maximum, de rappeler le talent du professeur Choron, le replacer au centre. Ce livre est copieux comme un repas de fin d’année, à consommer sans modération. Bien sûr, il est cher, comme ce qui est rare. Mais comme Choron le conseillait autrefois : « Si vous n’avez pas les moyens de l’acheter, volez-le ! »

 

 

Frédéric Chef

 

Collectif, sous la direction de Virginie Vernay, Ça, c’est Choron, Glénat, octobre 2015, 384 pages, 39 €

1 commentaire

dico

Je l'ai "volé" en le réclamant à l'éditeur puisque moi, la femme de Choron, ne l'ai pas reçu des mains de l'auteur ! c'est quand même un peu fort. S'il y a une personne qui pouvait témoigner c'est bien moi... passons sur cette indélicatesse. Le contenu ? bof, oui c'est cher pour relire ce qu'on a déjà vu et revu une multitude de fois après les attentats chez "Charlie". J'avoue que l'auteur de cet album a fait un joli travail.