Voici venir les rêveurs

Les Edward et les Jonka sont deux familles que tout oppose, mais qu’une certaine amitié ou du moins un profond respect réunit juste avant la crise des subprimes de 2008. La première, originaire du Cameroun, tente de trouver sa place à New-York, tandis que l’autre est américaine depuis le Mayflower ou peut s’en faut. Jende a réussi à faire venir sa femme Leni et son fils Liome, qui est devenu un vrai petit Américain, de leur Afrique natale. En travaillant dur - il est le chauffeur de Clark Edward, banquier chez Lehman Brothers -, il est persuadé qu’il a sa place en Amérique et que la Green Card n’est qu’une question de temps. Leni, au moins aussi courageuse que lui, ajoute à son travail d’aide-soignante des études pour devenir pharmacienne. Tous deux croient dur comme fer à leur avenir américain, mais arrivent la crise et le licenciement de Jende qui peu à peu cesse d’y croire et pense à rentrer au Cameroun alors que sa femme résiste de toutes ses forces. Quand l’accès au territoire américain leur est refusé, ils pourraient rester encore des années, mais Jende met brutalement fin au rêve et rentre en Afrique en homme riche mais brisé par son échec.


Quant à Clark Edward, licencié de Lehman Brothers, il devra faire face à d’autres épreuves difficiles et se remettre en question.


La grande réussite d’Imbolo M’bue qui signe là son premier roman est d’éviter tout manichéisme entre les "bons immigrants" et les "riches américains égoïstes". Les personnages ont tous leurs failles : Jende peut être brutal, Leni, utiliser toutes les armes, mêmes les plus indignes pour parvenir à ses fins. Cindy, de son côté, la femme de Clark, traumatisée par son passé se bat contre l'alcool, pendant que son mari, obnubilé par sa réussite dans la première partie du roman se montre arrogant et sûr de lui.


Entre traditions africaines et modernité du nouveau monde, la jeune romancière de 33 ans qui a elle-même quitté le Cameroun pour New-York raconte avec justesse l’angoisse de l’expulsion, comme un aveu d’échec ou de déloyauté qui plane sur l’existence de ses personnages africains.


Dans ses portraits croisés, aucune existence n’est enviable ou supérieure à une autre : ni celle des Jonga partagés entre deux cultures, ni celle des Edward, confrontés à la révolte de leur fils aîné qui n’accepte pas leur mode de vie trop privilégié, au vieillissement de Cindy, à sa maladie. De même, comme dans la vie ou les meilleurs livres, le destin ne tient qu’à un fil : il aurait peut-être suffi que Jende, s’ouvre à son patron de ses difficultés pour qu’il puisse rester sur le sol américain. Mais trop fier ou trop pudique, il s’est tu et la roue du destin a tourné…


Dans ce roman d’une grande finesse, d’une force certaine, seuls des hommes et des femmes, confrontés au métier et à la difficulté de vivre, évoluent du mieux qu’ils le peuvent et quelques soient leurs origines.



Brigit Bontour


Imbolo Mbue, Voici venir les rêveurs, traduit par Sarah Tardy, Belfond, août 2016, 420 pages, 22 euros

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