Flannery O’Connor, Dieu et les gallinacées

Etrange titre pour une auteure atypique peu connue en France, bien qu’éditée dans la collection Quarto chez Gallimard. Chez Flannery O’connor, tout est singulier : la brièveté de sa vie, la maladie héréditaire qui l’emporta à 39 ans, son engagement religieux, ses romans et nouvelles, ses passions : les poules, paons et autres volatiles assez peu sympathiques…

Sympathique, Flannery O’Connor ne l’était probablement toujours, consciente de son intelligence hors norme et de son handicap. Dès l’âge de six ans, elle avait « déjà cet air de savoir des choses que les autres ne savent pas ». Très jeune, elle préfère Edgar Allan Poe à Alice au pays des merveilles, est à l’affût du burlesque qu’elle reconnaît du premier coup d’œil et transcrit dans ses féroces dessins de poules. Bientôt elle s’en servira pour décrire les personnages de ses romans, toujours parodiques, affligés des pires travers physiques et moraux, violeurs, prédicateurs fous, tueurs en série, mystiques de tous poils. Dans ses deux romans, «  Les braves gens ne courent pas les rues », « Et ce sont les violents qui l’emportent », elle décrit une humanité déshéritée, ancrée dans la réalité la plus vile. Elle dépeint le microcosme rural du sud des années cinquante, les noirs et les petits blancs mesquins attachés à leur mode de vie, traque sans relâche le mensonge et les à priori. Ses héros évoluent dans un monde absurde et violent, « cette violence étant étrangement propre à ramener les personnages à la réalité et à les préparer à les accueillir la grâce ».

Ses romans complexes et exigeants sont mal compris, ses recueils de nouvelles sont mieux acceptés mais le malentendu ne cesse de se creuser entre son public et la vision du monde qu’elle souhaite transmettre. Cette méprise est le prix à payer pour sa rigueur intellectuelle et son exigence artistique. Elle se prête d’autant moins aux exigences du grand public qu’elle se sait condamnée et vit constamment avec la douleur. Le fait qu’à moins de trente ans, elle soit clouée dans la maison de sa mère, dépendant d’elle pour tout, que la notion de la mort annoncée soit présente à tout moment ne fait qu’exacerber sa certitude que : « pour le romancier catholique, la vie s’ordonne suivant la perspective du mystère chrétien central ». « En demeurant le plus fidèle à ce qui est, le romancier catholique peut, au sein du réalisme qu’il dépeint, faire apparaître le mystère immanent des choses ». On l’aura compris, point de romantisme ni de fioritures chez O’Connor dont la mère aurait aimé qu’elle écrive un roman populaire dans le style « d’Autant en emporte le vent », mais un grand sens de l’humour dans son abondante correspondance : «  je reçois des lettres de gens qu’il me semble avoir inventés moi-même. »

Dans ce livre ambitieux, l’auteur dresse le portait d’une femme de lettres complexe qui a choisi la voie de l’ultra-réalisme pour répondre aux questions sur l’Incarnation, le péché, la rédemption, la grâce.

Cecilia Dutter poursuit ses recherches sur les artistes qui trouvent Dieu en s’enfermant dans la solitude. Après La voix d’Etty Hillesum, héroïne juive qui mourra à Auchwitz, celle de Flannery O’Connor qui diffuse par l’écriture, l’idée qu’une œuvre se veut le témoignage d’un Dieu vivant au cœur du Mal, rassemblant les deux jeunes femmes dans un même acte de résistance spirituelle.


Brigit Bontour


Cecilia Dutter, Flannery O’Connor, Dieu et les gallinacéesLe Cerf, 204 pages, 19 euros


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